Voilà un livre qui me laisse sur une
impression extrêmement partagée, à la fois enthousiasmé tout autant que
déçu ! Un album énorme tant par son format : plus de 540 pages, 28cm de
large sur près de 34cm de haut, épais de 5cm, que par son contenu :
environ 800 photographies noir et blanc, puisées parmi les plus de
20.000 photographies conservées en négatifs sur plaques de verre,
constituant les fonds d'archives photographiques du journal
Excelsior, ainsi
que le précise le sous-titre de l'ouvrage : "
Les trésors des archives photographiques du
journal Excelsior".
Enthousiasmé parce que c'est bien là d'un trésor dont il s'agit. Les
photographies retirées d'après les négatifs originaux sur plaques de
verre, imprimées avec le bénéfice des procédés modernes (ce qui
contraste fortement avec la qualité des impressions dans les journaux
d'époque), pour la plupart en grand format compte tenu de la taille du
livre, sont tout simplement magnifiques. Ce format et cette qualité
d'impression permettent d'observer de très nombreux détails, les gros
plans permettent de discerner parfaitement les traits et expressions
des visages, donnant en quelque sorte vie à l'ensemble.
Les photographies sont classées dans une progression chronologique et
représentent une très grande variété de thèmes, même si bien sûr, la
grande majorité des vues sont prises à l'arrière, même quand elles
représentent des combattants. Beaucoup sont inédites dans des ouvrages
modernes et elles n'ont sans doute pas toutes été publiées à l'époque
dans les pages de l'Excelsior.
Un garde des voies de
communication (GVC) a
t'il réussi à émerger de toute cette masse ? Nous le trouvons page 108
en illustration du premier Noël fin 1914, de plein pieds avec trois
soldats britanniques dont l'un porte une oie dans ses bras, en grand
format sur une pleine page et demie avec la légende suivante
: "En
prévision du festin de Noël, trois artilleurs britanniques et un
sous-officier français se préparent au sacrifice de l'oie traditionnelle"
; Ne cherchez pas la précision selon laquelle il s'agit d'un
GVC, elle
est totalement absente, notre homme porte à la manche un galon de
sergent, et au bras gauche un brassard de GVC du type tricolore sur
lequel est visible une partie de l'inscription "B 2
G...."
pour sa référence de section "B" et le numéro de son groupe "2", le "G"
étant la première lettre de GC mention réglementaire pour les brassard
du service de la garde des voies de communication.
Déçu parce que les auteurs semblent avoir fait leur la devise
d'Excelsior empruntée à Napoléon et reprise sur la jaquette de
couverture du livre : "
Le plus court
croquis m'en dit plus long qu'un long rapport",
et en effet il ne faut pas chercher dans ce livre de longs textes de
commentaires ou d'analyses des photographies, ni de gros développements
historiques ou de contexte.
En fait l'introduction est le texte le plus complet du livre et
comporte un bref mais néanmoins très intéressant historique du journal
Excelsior, ensuite chaque chapitre est précédé par des petits extraits
du journal illustrant des dates et évènements clés, une colonne de
texte en caractères assez gros introduit chaque série de photographies,
elles mêmes occasionnellement entrecoupées de coupures du journal
imprimées en caractères énormes. Tous ces textes sont courts et se
contentent de généralités, parfois d'approximations voire manquent de
clarté : celui de la page 264 par exemple entretient une certaine
confusion entre bataillons scolaires et sociétés de préparation
militaire.
Dommage, les photographies auraient pu être les supports de
développements très intéressants, mais ce n'était pas là le choix
éditorial du livre, et plus de texte aurait sans doute signifié moins
de place pour les photographies, même si personnellement ce choix me
laisse un peu sur ma faim en ne me laissant entre les mains finalement
rien de plus qu'un album photos, il n'en reste pas moins une masse
photographique magnifique et passionnante, et ce n'est pas là le plus
gros défaut de l'ouvrage...
Très déçu, car si les photographies sont accompagnées de légendes, la
plupart sont également peu détaillées souvent très succintes, mais
surtout nombre d'entre elles comportent d'incroyables erreurs, qui au
final sèment le trouble sur l'ensemble des textes de l'ouvrage.
Voici à titre d'exemples quelques "perles" et bien sûr leur correction :
Des
photographies de soldats du 5ème
régiment d'infanterie à Paris, bien curieusement légendées :
page 33 : "
Départ du 5e
de ligne à Paris. [...] A la mobilisation, il prendra le nom de 205e
régiment d'infanterie."
C'est juste incroyablement énorme, en fait à la mobilisation générale
de nouveaux régiments étaient mis sur pied avec les réservistes
rappelés, pour chaque régiment d'infanterie d'active était créé un
régiment de réserve portant le même numéro +200, le 205e
d'infanterie est le régiment de réserve du 5e, mais il
s'agit bien de deux régiments différents ayant traversé la guerre
chacun de leur côté, le 5e n'a pas changé de nom pour
devenir le 205e,
chacun des deux régiments dispose de son propre Journal de Marche et
des Opérations (JMO), et de son historique, tous d'ailleurs accessibles
librement sur internet1.
page 40 : "Le 6 août 1914, regroupés
sur le Champ-de-Mars, les hommes du 5e régiment de ligne
sont prêts pour rejoindre leur dépôt à Falaise."
Des hommes photographiés tout équippés à Paris auraient fait un petit
détour en Normandie avant de rejoindre le front ? Bien sûr que non,
avant guerre le 5e régiment d'infanterie comporte bien son
dépôt et un bataillon caserné à Falaise mais ses deux autres bataillons
sont casernés à Paris.
Voici ce que relate le JMO du 5e régiment d'infanterie1
:
" 5 Août - Départ de Falaise du 1er
Btn (bataillon) à 6h12 par
voie ferrée
6 Août - Départ de Paris du 2e
Btn, du 3e Btn et de l'Etat-Major du régiment, à 20
heures, à la gare de Bécon-les-Bruyères
7 Août - Débarquement à Amagnes"
Puis l'historique du 5e régiment d'infanterie 1914 - 19181
:
"Le 5 Août 1914, le 5e régiment
d'infanterie, sous le commandement du colonel Doury, quitte ses
garnisons : le 1er bataillon part de Falaise par voie ferrée, les 2e et
3e bataillons et la C.H.R. (Compagnie Hors rang) se rendent de la Pépinière à
Bécon-les-Bruyères, où ils embarquent.
Le régiment débarque dans la région
d'Amagne-Lucquy et, le 7, il cantonne à Guincourt, Chesnois-Auboncourt,
Vaux-Montreuil, Wignicourt, Saint-Loup-Terrier."
Si l'historique, publié en 1922, est moins précis sur les dates et
horaires de départ que le JMO, rédigé au jour le jour dès 1914, les
deux documents confirment que le 1er bataillon s'est
embarqué en train de Falaise le 5 août 1914, tandis que le reste du
régiment à quitté la caserne de la Pépinière à Paris (proche de la gare
St Lazarre, entre la rue de la Pépinière et la rue Laborde) le 6 août
au soir en embarquant dans une gare de la toute proche périphérie de
Paris, Bécon-les-Bruyères, non pas pour Falaise, mais directement pour
le front où tout le régiment cantonne dès le 7 août.
Une magnifique photographie de
passage en revue de jeunes gens armés
en double page 180-181, ou comment transformer de jeunes élèves de
sociétés de préparation militaire en élèves officiers de Saint-Cyr
grâce à la légende suivante :
"PREPARATION DES FUTURS OFFICIERS DE
LA CLASSE 17. Le 4 juillet 1915, à l'école de Saint-Cyr, le colonel
Gratier passe en revue les élèves officiers. Ils sont militarisés par
un semblant d'uniforme avec des bandes molletières et un fusil de
modèle Gras de 1874."
Enfin une légende précise : une classe de recrutement, une date, un
lieu, un nom, un modèle de fusil ! Pourtant la légende de la
photographie est fausse : la classe est bien celle de la plupart des
élèves de la photographie et ils portent bien le fusil indiqué, c'est
la bonne date, le bon lieu et le bon colonel, mais malheureusement ce
ne sont pas les bons élèves, ce ne sont pas les élèves officiers de
Saint-Cyr...
Des élèves de la plus prestigieuse des écoles d'officiers française
avec un semblant d'uniforme ? et un antique fusil obsolète de 1874 ? En
1915 les temps sont certe durs, mais tout de même !!
Comment les auteurs ont-ils pu arriver à cette erreur avec autant de
détails exacts dans leur description ? Ironie du sort, c'est une page
du journal l'Illustration,
concurrent direct du journal Excelcior, qui
m'en fournira l'explication...démonstration en images2
: