GVC 14-18

Le service de la garde des voies de communication en France pendant la Première Guerre mondiale

BIBLIOGRAPHIE



Editions LES ARENES - dépôt légal octobre 2013 - par Jean-Noël JEANNENEY avec la collaboration de Jeanne GUEROUT.


Voilà un livre qui me laisse sur une impression extrêmement partagée, à la fois enthousiasmé tout autant que déçu ! Un album énorme tant par son format : plus de 540 pages, 28cm de large sur près de 34cm de haut, épais de 5cm, que par son contenu : environ 800 photographies noir et blanc, puisées parmi les plus de 20.000 photographies conservées en négatifs sur plaques de verre, constituant les fonds d'archives photographiques du journal Excelsior, ainsi que le précise le sous-titre de l'ouvrage : "Les trésors des archives photographiques du journal Excelsior".

Enthousiasmé parce que c'est bien là d'un trésor dont il s'agit. Les photographies retirées d'après les négatifs originaux sur plaques de verre, imprimées avec le bénéfice des procédés modernes (ce qui contraste fortement avec la qualité des impressions dans les journaux d'époque), pour la plupart en grand format compte tenu de la taille du livre, sont tout simplement magnifiques. Ce format et cette qualité d'impression permettent d'observer de très nombreux détails, les gros plans permettent de discerner parfaitement les traits et expressions des visages, donnant en quelque sorte vie à l'ensemble.

Les photographies sont classées dans une progression chronologique et représentent une très grande variété de thèmes, même si bien sûr, la grande majorité des vues sont prises à l'arrière, même quand elles représentent des combattants. Beaucoup sont inédites dans des ouvrages modernes et elles n'ont sans doute pas toutes été publiées à l'époque dans les pages de l'Excelsior.

Un garde des voies de communication (GVC) a t'il réussi à émerger de toute cette masse ? Nous le trouvons page 108 en illustration du premier Noël fin 1914, de plein pieds avec trois soldats britanniques dont l'un porte une oie dans ses bras, en grand format sur une pleine page et demie avec la légende suivante : "En prévision du festin de Noël, trois artilleurs britanniques et un sous-officier français se préparent au sacrifice de l'oie traditionnelle" ; Ne cherchez pas la précision selon laquelle il s'agit d'un GVC, elle est totalement absente, notre homme porte à la manche un galon de sergent, et au bras gauche un brassard de GVC du type tricolore sur lequel est visible une partie de l'inscription "B 2 G...." pour sa référence de section "B" et le numéro de son groupe "2", le "G" étant la première lettre de GC mention réglementaire pour les brassard du service de la garde des voies de communication.

Déçu parce que les auteurs semblent avoir fait leur la devise d'Excelsior empruntée à Napoléon et reprise sur la jaquette de couverture du livre : "Le plus court croquis m'en dit plus long qu'un long rapport", et en effet il ne faut pas chercher dans ce livre de longs textes de commentaires ou d'analyses des photographies, ni de gros développements historiques ou de contexte.

En fait l'introduction est le texte le plus complet du livre et comporte un bref mais néanmoins très intéressant historique du journal Excelsior, ensuite chaque chapitre est précédé par des petits extraits du journal illustrant des dates et évènements clés, une colonne de texte en caractères assez gros introduit chaque série de photographies, elles mêmes occasionnellement entrecoupées de coupures du journal imprimées en caractères énormes. Tous ces textes sont courts et se contentent de généralités, parfois d'approximations voire manquent de clarté : celui de la page 264 par exemple entretient une certaine confusion entre bataillons scolaires et sociétés de préparation militaire.

Dommage, les photographies auraient pu être les supports de développements très intéressants, mais ce n'était pas là le choix éditorial du livre, et plus de texte aurait sans doute signifié moins de place pour les photographies, même si personnellement ce choix me laisse un peu sur ma faim en ne me laissant entre les mains finalement rien de plus qu'un album photos, il n'en reste pas moins une masse photographique magnifique et passionnante, et ce n'est pas là le plus gros défaut de l'ouvrage...

Très déçu, car si les photographies sont accompagnées de légendes, la plupart sont également peu détaillées souvent très succintes, mais surtout nombre d'entre elles comportent d'incroyables erreurs, qui au final sèment le trouble sur l'ensemble des textes de l'ouvrage.

Voici à titre d'exemples quelques "perles" et bien sûr leur correction :

Des photographies de soldats du 5ème régiment d'infanterie à Paris, bien curieusement légendées :

page 33 : "Départ du 5e de ligne à Paris. [...] A la mobilisation, il prendra le nom de 205e régiment d'infanterie."
C'est juste incroyablement énorme, en fait à la mobilisation générale de nouveaux régiments étaient mis sur pied avec les réservistes rappelés, pour chaque régiment d'infanterie d'active était créé un régiment de réserve portant le même numéro +200, le 205e d'infanterie est le régiment de réserve du 5e, mais il s'agit bien de deux régiments différents ayant traversé la guerre chacun de leur côté, le 5e n'a pas changé de nom pour devenir le 205e, chacun des deux régiments dispose de son propre Journal de Marche et des Opérations (JMO), et de son historique, tous d'ailleurs accessibles librement sur internet1.

page 40 : "Le 6 août 1914, regroupés sur le Champ-de-Mars, les hommes du 5e régiment de ligne sont prêts pour rejoindre leur dépôt à Falaise."
Des hommes photographiés tout équippés à Paris auraient fait un petit détour en Normandie avant de rejoindre le front ? Bien sûr que non, avant guerre le 5e régiment d'infanterie comporte bien son dépôt et un bataillon caserné à Falaise mais ses deux autres bataillons sont casernés à Paris.

Voici ce que relate le JMO du 5e régiment d'infanterie1 :
" 5 Août - Départ de Falaise du 1er Btn (bataillon) à 6h12 par voie ferrée
6 Août - Départ de Paris du 2e Btn, du 3e Btn et de l'Etat-Major du régiment, à 20 heures, à la gare de Bécon-les-Bruyères
7 Août - Débarquement à Amagnes"

Puis l'historique du 5e régiment d'infanterie 1914 - 19181 :
"Le 5 Août 1914, le 5e régiment d'infanterie, sous le commandement du colonel Doury, quitte ses garnisons : le 1er bataillon part de Falaise par voie ferrée, les 2e et 3e bataillons et la C.H.R. (Compagnie Hors rang) se rendent de la Pépinière à Bécon-les-Bruyères, où ils embarquent.
Le régiment débarque dans la région d'Amagne-Lucquy et, le 7, il cantonne à Guincourt, Chesnois-Auboncourt, Vaux-Montreuil, Wignicourt, Saint-Loup-Terrier."

Si l'historique, publié en 1922, est moins précis sur les dates et horaires de départ que le JMO, rédigé au jour le jour dès 1914, les deux documents confirment que le 1er bataillon s'est embarqué en train de Falaise le 5 août 1914, tandis que le reste du régiment à quitté la caserne de la Pépinière à Paris (proche de la gare St Lazarre, entre la rue de la Pépinière et la rue Laborde) le 6 août au soir en embarquant dans une gare de la toute proche périphérie de Paris, Bécon-les-Bruyères, non pas pour Falaise, mais directement pour le front où tout le régiment cantonne dès le 7 août.

Une magnifique photographie de passage en revue de jeunes gens armés en double page 180-181, ou comment transformer de jeunes élèves de sociétés de préparation militaire en élèves officiers de Saint-Cyr grâce à la légende suivante :
"PREPARATION DES FUTURS OFFICIERS DE LA CLASSE 17. Le 4 juillet 1915, à l'école de Saint-Cyr, le colonel Gratier passe en revue les élèves officiers. Ils sont militarisés par un semblant d'uniforme avec des bandes molletières et un fusil de modèle Gras de 1874."

Enfin une légende précise : une classe de recrutement, une date, un lieu, un nom, un modèle de fusil ! Pourtant la légende de la photographie est fausse : la classe est bien celle de la plupart des élèves de la photographie et ils portent bien le fusil indiqué, c'est la bonne date, le bon lieu et le bon colonel, mais malheureusement ce ne sont pas les bons élèves, ce ne sont pas les élèves officiers de Saint-Cyr...

Des élèves de la plus prestigieuse des écoles d'officiers française avec un semblant d'uniforme ? et un antique fusil obsolète de 1874 ? En 1915 les temps sont certe durs, mais tout de même !!

Comment les auteurs ont-ils pu arriver à cette erreur avec autant de détails exacts dans leur description ? Ironie du sort, c'est une page du journal l'Illustration, concurrent direct du journal Excelcior, qui m'en fournira l'explication...démonstration en images2 :



Voici ci-dessus des élèves de sociétés de préparation militaire portant exactement le même type de tenues que sur la photo de revue publiée dans le livre, tenues typiques des années de guerre pour les membres de ces sociétés : vestes et pantalons civils, chemises et cravates, bandes molletières ou jambières et bonnets de police variés, ici quelques uns portent des uniformes complets : le second accroupi à gauche, le premier debout à droite (certaines sociétés de préparation militaire sont totalement uniformisées avant guerre), tous portent, comme sur la photo de la revue, les fusils Gras mentionnés par la légende de la photographie de la revue.

Il est étonnant que les auteurs du livre n'aient pas reconnu ces tenues puisque pages 264 à 267 de ce même livre figurent trois nouvelles photos d'élèves de sociétés de préparation militaires correctement légendées, dont deux avec exactement ce type de tenues, la troisième photographie représentant une société intégralement uniformisée.

Maintenant à quoi ressemblent les élèves officiers de Saint-Cyr ?

Voici deux vues d'avant guerre représentant des Saint-Cyriens en action, la première en tenue de combat avec sac au dos, la seconde dans une tenue blanche de corvée et d'exercice pour un exercice de pointage de tir, dans les deux cas leurs fusils sont des Lebel :





Voici ensuite deux photographies des élèves officiers de Saint-Cyr en 1915, à des dates proches de celle de la date de la revue évoquée par le livre, la première est datée du 21 août 1915, la seconde du 14 septembre 1915, les hommes portent des tenues blanches d'exercice proches de celles de la photographie ci-dessus, les vestes sont d'un modèle différent mais de même usage, les jambières en cuir sont remplacées par des bandes molletières, le képi des St-Cyriens d'avant guerre est remplacé ici par les nouveaux képis bleu horizons, et pour quelques élèves par des bérets de type chasseurs, tous sont toujours dotés du fusil Lebel :




 
Leurs tenues et leur armement sont très différents de ceux des élèves des sociétés de préparation militaire et ne permettent aucune confusion.

Ci contre, l'extrait du journal  L'Illustration
du 17 juillet 1915.

En légende de la photographie de revue du haut : "La classe 1917 : les Sociétés de préparation militaire à Saint-Cyr." Les tenues sont exactement les mêmes que pour la première photographie ci-dessus, et la photographie du livre qui est une autre photographie de cette même revue.

Sur les deux photographies du bas, nous reconnaissons les élèves officiers de Saint-Cyr dans leurs mêmes tenues de 1915 que ci-dessus, avec la légende suivante : "Les "aspirants officiers" harangués par M. Millerand, ministre de la guerre".

Le texte précise que plusieurs centaines d'aspirants d'une vingtaine d'année ont été recrutés par voie d'examen parmi les jeunes classes, ils sortiront sous-lieutenant à l'issue d'une formation de quatre mois !

Ils sont passés en revue par le Ministre de la guerre, M. Millerand qui leur rend visite à Saint-Cyr le 7 juillet 1915.

L'article poursuit : "le dimanche précédent (soit le 4 juillet 1915), la Fédération nationale des Sociétés de préparation militaire avait conduit à Saint-Cyr huit cents des jeunes gens qu'elle dirige. Presque tous appartenaient à la classe 1917, qui est la prochaine à partir.[...] Le colonel Gratié ( en réalité Gratier), qui commande l'Ecole pour se remettre de ses blessures, les avait harangués."

Et voilà, les auteurs de "Jours de guerre" ont confondu les deux revues qui ont eu lieu à 3 jours d'intervalle !


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Notes


1.    Voir les archives du Service Historique de la Défense (SHD), consultable en ligne sur le site Mémoire des Hommes :
  •  Journal de Marche et des Opérations (JMO) du 5ème régiment d'infanterie à la mobilisation cote 26N577/6    accessible ici
  •  Journal de Marche et des Opérations (JMO) du 205ème régiment d'infanterie à la mobilisation cote 26N714/1    accessible ici
  • HISTORIQUE DU 5e REGIMENT D'INFANTERIE 1914-1918 Henri CHARLES-LAVAUZELLE Editeur Militaire - PARIS 1919 -
    exemplaire de la BIBLIOTHEQUE DE DOCUMENTATION INTERNATIONALE CONTEMPORAINE (BDIC), cote O pièce 13141,
    disponible en lien depuis le site du Service Historique de la Défense
  • HISTORIQUE DU 205e REGIMENT D'INFANTERIE 1914-1918 Henri CHARLES-LAVAUZELLE Editeur Militaire - PARIS 1922 -
    exemplaire de la BIBLIOTHEQUE DE DOCUMENTATION INTERNATIONALE CONTEMPORAINE (BDIC), cote
    O pièce 13272, disponible en lien depuis le site du Service Historique de la Défense, ainsi que depuis Gallica

2.   Toutes ces photographies sont issues de la collection YLG, réutilisation interdite sans authorisation.

 

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