GVC 14-18

Le service de la garde des voies de communication en France pendant la Première Guerre mondiale

LE CURÉ GVC


    La recherche de documents pouvant avoir de près ou de loin un lien avec l'étude des gardes des voies de communication, conduit à s'intéresser à toutes sortes de papiers anciens, c'est ainsi que ce dessin découpé dans du vieux papier journal a tout de suite attiré mon attention :


    Cet étonnant prêtre en soutane avec arme et képi m'avait tout l'air d'être de faction devant cette voie de chemin de fer, c'est à dire exactement dans la position d'un garde des voies de communication (GVC) !

    Par chance le texte correspondant à l'image, est en partie imprimé au dos de la photographie, excepté quelques lignes que la personne qui a conservé l'image a pris soin de découper également dans un soucis de préservation de l'image avec l'histoire s'y rapportant :



"Bonjour, Monsieur le Curé !"

(Voir le frontispice.)

________
     Nous avons raconté bien des traits touchants ou tragiques de la vie des prêtres soldats.
     Il s'est rencontré aussi parfois une note gaie. Un vénérable archiprêtre de la Drôme, surveillant de la voie ferrée entre Pierrelatte et Bollène, n'avait pas trouvé de vêtements à sa mesure. Il a pris bravement son service en soutane, avec le fusil, la cartouchière et un képi. On dit même qu'il avait un air martial qui aurait fait croire à un soldat déguisé.
     Et chaque fois qu'un train montait ou descendait, mécaniciens, chauffeurs, soldats, à toutes les portières des wagons, saluaient, acclamaient le prêtre factionnaire : Bonjour, Monsieur le Curé. Bravo ! Vive le curé !
Et toujours avec une respectueuse sympathie.
     Ce cas, qui est loin d'être unique, a donné à notre collaborateur, M. Damblans, l'inspiration d'un dessin qu'il dédie à tous les curés de France "gardes-voie".

     Le motif découpé avec l'image sur sa gauche va permettre l'identification de la revue d'où sont extraits cette image et ce petit texte, il s'agit d'une partie du motif de la couverture de la revue hebdomadaire "Le Pèlerin" dont la maquette de couverture au moins pour les années 1914 et 1915 est celle présentée ici à droite  :

     Je n'ai pas, à ce jour, identifié quel numéro paru à quelle date, comportait cette couverture avec l'image du prêtre GVC.

     L'illustrateur dit Damblans est Eugène Damblanc (1865 - 1945), effectivement collaborateur de la revue  "Le Pèlerin".

     Il n'a sans doute jamais vu le prêtre GVC dans la Drôme, seule  son évocation a inspiré le dessin, sinon il l'aurait peut être représenté un peu plus corpulent (c'est faute de se voir attribuer des vêtements militaires à sa mesure qu'il conserve sa soutane) et il n'aurait représenté qu'une cartouchière (comme correctement évoqué dans le texte), celle sur la droite de notre curé, tandis qu'il aurait remplacé celle sur sa gauche par le porte baïonnette, respectant ainsi les dotations en équipements réglementairement prévues pour les GVC.

                                                       

    Le nom du prêtre n'est pas mentionné, pas de date, toutefois un indice de localisation est évoqué : le Curé GVC surveille la voie entre Pierrelatte et Bollène dans la Drôme. Pourrait-il être identifié ?

    De faction dans la Drôme, donc loin du front, notre prêtre GVC a toutes les chances d'être enregistré sur un bureau de recrutement local, il a même de grandes chances d'être domicilié à proximité de Pierrelatte ou Bollène. Archiprêtre selon le texte, il a dû se vouer à sa vocation très tôt, son appartenance au clergé est peut-être déjà mentionnée sur sa fiche de registre matricule militaire au moment de son recensement.

    Pour le bonheur des chercheurs, et ce point mérite d'être souligné car ce n'est pas le cas pour tous les départements, les archives départementales de la Drôme proposent gratuitement en ligne, la consultation des fiches numérisées des registres matricules militaires, deux bureaux de recrutement sont proposés pour la période 1867-1929 : Montélimar ou Romans, Pierrelatte et Bollène sont plus proches de Montélimar j'opte pour ce bureau de recrutement.

    Les GVC sont à la mobilisation issus des classes 1887 à 1892, les fiches de ces classes représentent plusieurs milliers d'hommes pour un seul bureau de recrutement, faudra t'il consulter ces milliers de pages pour espérer y retrouver ce curé ? C'est potentiellement le risque ; il y a aussi le risque que sa fiche ne mentionne pas sa situation de prêtre, ou ne mentionne pas clairement son affectation aux GVC durant la guerre, même en consultant toutes les fiches il est donc possible de visualiser la bonne sans pouvoir la reconnaitre !

    Je décide toutefois de tenter l'expérience, la classe 1889 est la plus représentative pour les GVC, c'est l'une de celles qui en compte le plus à la mobilisation, et celle qui en comptera le plus au delà de 1914, je commence donc par examiner les fiches de cette classe qui comporte 1187 pages numérisées pour le bureau de recrutement de Montélimar ! Le premier jour j'examine les 100 premières pages sans résultat...le lendemain je poursuis, la chance me sourit, sur les vues 116 et 117 je trouve un candidat sérieux1 :

Le Curé GVC est-il Louis NAVOLY ?

   
    Louis Adolphe NAVOLY est né le 11 février 1869 à Donzère, canton de Pierrelatte, Donzère est limitrophe de Pierrelatte au nord tandis que Bollène l'est au sud.

    Né en 1869 il appartient à la classe de recrutement de 1889 année de ses 20 ans, et est recensé en 1890, conformément aux dispositions de la toute récente loi sur le recrutement de l'armée datée du 15 juillet 1889 2 (voir article 10.).

    Il doit être recensé par son canton de domicile, à cette date il est noté résident à Romans comme étudiant ecclésiastique, toutefois la loi de recrutement distingue lieu de résidence et domicile, son domicile reste Donzère, du canton de Pierrelate, à l'adresse de sa mère veuve et toujours domiciliée à Donzère (voir article 13.).

    Si la précédente loi de recrutement du 27 juillet 1872 3 dispensait les élèves ecclésiastiques de service militaire (voir Article 20. loi de 1872) ; la nouvelle loi les soumet désormais au service militaire avec toutefois maintien d'une dispense qui limite ce service à un an au lieu de trois (voir article 23. loi de 1889), cette disposition fera surnommer cette loi de "loi des curés sac au dos".

    La décision du conseil de révision mentionne que Louis NAVOLY est "Bon" (pour le service) et "Dispensé" (service militaire limité à un an), avec la précision suivante "étudiant ecclésiastique - visité à Romans", ce qui signifie que Louis NAVOLY ne s'est pas présenté devant le conseil de révision, mais qu'au moins l'un de ses membres, s'est lui-même déplacé pour le rencontrer sur son lieu de résidence : le séminaire à Romans.

    Il effectue son année de service militaire du 11 novembre 1890 au 25 septembre 1891 au sein du 22ème régiment d'infanterie (caserné à Montélimar en 1890 7) comme soldat de 2ème classe obtenant son certificat de bonne conduite.

    Il accomplit une période d'instruction de réserve à la 14ème section d'infirmiers militaires, du 5 septembre au 2 octobre 1893. En effet la loi de 1889 (article 23) prévoit qu'en cas de mobilisation, les étudiants en médecine et en pharmacie, et les élèves ecclésiastiques, sont versés dans le service de santé.

    Les conditions dans lesquelles sont appliquées les dispositions de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée, sont précisées par un décret du 23 novembre 1889 5 qui prévoit en son article 34 que, chaque année, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, le dispensé à titre ecclésiastique doit justifier de la continuation de ses études par la production du certificat modèle K annexé au décret ; sur sa fiche de registre matricule, est indiqué que Louis NAVOLY a fournit ce certificat pour les années 1892, 1893 et 1894.


modèle du certificat modèle K, extrait du JOURNAL MILITAIRE année 1889, page 715, disponible sur Gallica5

    Il doit ensuite produire, au plus tard à l'âge de vingt-six ans, le certificat modèle L attestant de son ordination ou de sa consécration, ce certificat est produit par Louis NAVOLY en 1895, année de ses vingt-six ans,  à défaut de production de ces certificats (modèles K et L), le dispensé à titre ecclésiastique perd le bénéfice de sa dispense, et est tenu d'accomplir les deux années de service militaire dont il avait été dispensé (article 24 de la loi de 1889 sur le recrutement de l'armée).


modèle du certificat modèle L, extrait du JOURNAL MILITAIRE année 1889, page 716, disponible sur Gallica5

    Une nouvelle loi sur le recrutement de l'armée datée du 21 mars 1905 4 va encore modifier les obligations militaires des prêtres :
  • d'une part elle supprime les dispenses en son article 2, les élèves ecclésiastiques, comme tout Français reconnu propre au service, effectuent un service militaire de deux ans (article 32 - cette durée de service sera portée à trois ans par la loi du 7 août 1913 6) ;
  • d'autre part il n'est plus fait mention de l'affectation des élèves ecclésiastiques dans le service de santé en cas de mobilisation, ils peuvent donc être mobilisés au sein de services armés.
   
    Louis NAVOLY, qui au chapitre de l'armée territoriale est "classé non disponible le 1er novembre 1903 comme vicaire à Livron" (sans doute Livron-sur-Drôme à 27 km au nord de Montélimar), de ce fait il n'accomplit pas de période d'exercice dans la territoriale ; mais en vertu de la loi de 1905, il est "reclassé dans le droit commun le 8 juin 1906".

     Il pouvait dès lors en cas de mobilisation, être affecté au service armé de la garde des voies de communication, et c'est ce qui arriva : il est rappelé au service de garde des voies de communication (SGVC) le 31 juillet 1914, et arrive au corps le 1er août 1914, il fait donc partie des premiers GVC convoqués avant même l'affichage, le 1er août, de l'ordre de mobilisation générale fixant le premier jour de la mobilisation au 2 août 1914 8.

    Ses différentes affectations mentionnent pour l'armée territoriale et sa réserve :
  • affectation à la 14ème section d'infirmiers militaires (pour rappel : au sein de laquelle il a effectué une période d'instruction en 1893) ;
  • puis au 111ème régiment d'infanterie territoriale dont le dépôt régimentaire est à Montélimar, il s'agit d'un rattachement administratif au régiment d'infanterie territorial de sa subdivision militaire de recrutement, alors qu'il est convoqué lors de la mobilisation au service de GVC de cette subdivision, il était théoriquement en poste comme GVC sur le territoire de sa subdivision dont font partie les communes de Pierrelatte et Bollène. il est renvoyé dans ses foyers le 2 septembre 1914 ;
  • Il est rappelé à l'activité le 28 mars 1915 (sans précision d'affectation : de nouveau avec les GVC ? ou au dépôt du 111ème d'infanterie territoriale ? ailleurs ?)
  • Il repasse à la 14ème section d'infirmiers militaires le 29 février 1916, la quitte le 17 novembre 1917, puis est placé officiellement en sursis d'appel illimité comme curé à Portes-lès-Valence, le 24 novembre 1917.

    Sur la période de 1891 à 1914 Louis NAVOLY change fréquemment de résidence, toujours dans la Drôme, mais tantôt sur des communes dépendant de la subdivision militaire de Montélimar, tantôt sur la subdivision de Romans. Il ne s'agit à chaque fois que de lieux identifiés comme des résidences, jamais comme des domiciles, et la nuance est très importante9, il est hébergé par les autorités religieuses au gré de ses mutations, les lois sur le recrutement militaires identifient ces demeures comme des résidences, tandis que son domicile reste la demeure familiale de ses parents à Donzères.

    Donzères est du ressort de la subdivision militaire de Montélimar, c'est du bureau de recrutement de cette subdivision dont dépend Louis NAVOLY à la mobilisation de 1914, bien qu'il soit à ce moment, et depuis 1910, prêtre à Portes-lès-Valence qui relève de la subdivision de Romans.

    Mobilisé comme GVC dès la convocation des GVC du 31 juillet 1914 (voir ci-dessus), il est donc normalement affecté à un poste de GVC sur le territoire de la subdivision de Montélimar, ceci est confirmé par mention de son affectation au 111ème régiment d'infanterie territoriale dont le dépôt est à Montélimar, et qui est le régiment de rattachement administratif des GVC de cette subdivision.

    L'instruction générale sur l'organisation du service de garde des voies de communication du 18 octobre 1910 10, prévoit en son article 5, de composer l'effectif d'un poste de GVC, en choisissant les hommes "parmi ceux résidant dans les communes traversées par les voies de communication ou les communes limitrophes situées à moins de 10 km (ou, s'il est nécessaire, à moins d'une journée de marche) des emplacements fixés pour l'installation des postes". Même si l'utilisation du terme "résidant" dans la rédaction de l'article 5 de cette instruction de 1910, spécifique au service des GVC, introduit une certaine confusion par rapport à ce qui a été dit plus avant à propos de la distinction entre domicile et résidence, nous avons cité ci-dessus les éléments qui démontrent que Louis NAVOLY a bien été mobilisé et affecté avec rattachement à la subdivision de Montélimar, et que c'est donc bien son domicile à Donzères, qui a été pris en compte pour déterminer cette affectation.

    Louis NAVOLY devait donc théoriquement être affecté sur un poste de GVC localisé à proximité de Donzères, or Pierrelatte est limitrophe de Donzères, Louis NAVOLY a donc de très grandes chances d'être effectivement le curé en soutane montant la garde comme GVC entre Pierrelatte et Bollène.

    Nous n'en avons toutefois pas la certitude absolue, un autre prêtre, domicilié et affecté au service de GVC dans la même zone, pourrait très bien avoir existé...seul l'examen des milliers de fiches de registres matricule des hommes du bureau de recrutement de Montélimar des classes 1887 à 1892, pourrait infirmer ou confirmer l'éventualité de cette seconde hypothèse, et là encore sans certitude absolue que la mention d'affectation comme GVC ou comme ecclésiastique figure bien sur les fiches de tous les hommes concernés...      

___________________________________________________________________

Notes

1.     Archives départementales de la Drôme - voir les registres matricules numérisés : classe 1889 - bureau de recrutement de Montélimar - Louis NAVOLY est répertorié sous le numéro matricule de recrutement 112 (vues 116 et 117)

2.
     Loi sur le recrutement de l'armée du 15 juillet 1889 -
bulletin des lois de la République Française N°1263 - 2ème semestre 1889 - disponible sur Gallica

3.     Loi sur le recrutement de l'armée du 27 juillet 1872 - bulletin des lois de la République Française N°101 - 2ème semestre 1872 - disponible sur Gallica

4.     Loi sur le recrutement de l'armée du 21 mars 1905 - bulletin des lois de la République Française - 1er semestre 1905 - disponible sur Gallica

5.   Décret du 23 novembre 1889 (publié au Journal Officiel du 24 novembre 1889) portant règlement d'administration publique pour l'exécution de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889, sur le recrutement de l'armée.
    Version publiée au JOURNAL MILITAIRE - ANNEE 1889 - deuxième semestre - pages 689 à 716 - PARIS, LIBRAIRIE MILITAIRE DE L. BAUDOIN ET Cie 1889 - disponible en ligne sur Gallica
6.     Loi du 7 août 1913 - bulletin des lois de la République Française - année 1913 - disponible sur Gallica

7.
    Le 22ème régiment d'infanterie est caserné à Montélimar en 1890 :


D'après la carte de "répartition et emplacement des troupes de l'armée française", dressée par Ch. Lassailly, éditeur H. Le Soudier (Paris) 1890.

Source : gallica.bnf.fr   Bibliothèque nationale de France ; accès à la carte complète sur Gallica en cliquant sur l'extrait de carte ci-dessus

8
.     Voir à ce sujet sur ce site internet l'article : LA MOBILISATION DES GVC

9.     Voir à ce sujet l'article Retracer le parcours d'une recrue (5) La fiche matricule (2) : domicile et résidence sur le site LE PARCOURS DU COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918

10.     Voir à ce sujet l'article Le cas des GVC ; Instruction générale sur le service de garde des voies de communication 18 octobre 1910  sur le site LE PARCOURS DU COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918


SI VOUS AVEZ TOUTE INFORMATION PERMETTANT DE CONFIRMER OU INFIRMER L'IDENTIFICATION DU CURÉ GVC
si vous connaissez la date de parution du N° de la revue "Le Pèlerin" avec le Curé GVC en illustration
si vous disposez d'une photographie du Curé GVC
ou
Si vous avez des remarques, suggestions, impressions, commentaires, envie de contributions, questions ?
n'hésitez pas à en faire part à l'auteur à l'adresse  gvc1418@gmail.com