La recherche de documents pouvant
avoir de près ou de loin un lien avec l'étude des gardes des voies de
communication, conduit à s'intéresser
à toutes sortes de papiers anciens, c'est ainsi que ce dessin découpé
dans du vieux papier journal a tout de suite attiré mon attention :
Cet étonnant prêtre en soutane
avec arme et képi m'avait tout l'air d'être de faction devant cette
voie de chemin de fer, c'est à dire exactement dans la position d'un
garde des voies de communication (GVC) !
Par chance le texte correspondant
à l'image, est en partie imprimé au dos de la photographie, excepté
quelques lignes que la personne qui a conservé l'image a pris soin de
découper également dans un soucis de préservation de l'image avec
l'histoire s'y rapportant :
Le nom du prêtre n'est pas
mentionné, pas de date, toutefois un indice de localisation est évoqué
: le Curé GVC surveille la voie entre Pierrelatte et Bollène dans la
Drôme. Pourrait-il être identifié ?
De faction dans la
Drôme, donc loin du front, notre prêtre GVC a toutes les chances d'être
enregistré sur un bureau de recrutement local, il a même de grandes
chances d'être domicilié à proximité de Pierrelatte ou Bollène.
Archiprêtre selon le texte, il a dû se vouer à sa vocation très tôt,
son appartenance au clergé est peut-être déjà mentionnée sur sa fiche
de registre matricule militaire au moment de son recensement.
Pour le bonheur des chercheurs, et ce point mérite
d'être souligné car ce n'est pas le cas pour tous les départements, les
archives départementales de la Drôme proposent gratuitement en ligne,
la consultation des fiches numérisées des registres matricules
militaires, deux bureaux de recrutement sont proposés pour la période
1867-1929 : Montélimar ou Romans, Pierrelatte et Bollène sont plus
proches de Montélimar j'opte pour ce bureau de recrutement.
Les GVC sont à la mobilisation issus des classes
1887 à 1892, les fiches de ces classes représentent plusieurs milliers
d'hommes pour un seul bureau de recrutement, faudra t'il consulter ces
milliers de pages pour espérer y retrouver ce curé ? C'est
potentiellement le risque ; il y a aussi le risque que sa fiche ne
mentionne pas sa situation de prêtre, ou ne mentionne pas clairement
son affectation aux GVC durant la guerre, même en consultant toutes les
fiches il est donc possible de visualiser la bonne sans pouvoir la
reconnaitre !
Je décide toutefois de tenter l'expérience, la
classe 1889 est la plus représentative pour les GVC, c'est l'une de
celles qui en compte le plus à la mobilisation, et celle qui en
comptera le plus au delà de 1914, je commence donc par examiner les
fiches de cette classe qui comporte 1187 pages numérisées pour le
bureau de recrutement de Montélimar ! Le premier jour j'examine les 100
premières pages sans résultat...le lendemain je poursuis, la chance me
sourit, sur les vues 116 et 117 je trouve un candidat sérieux
1
:
Louis Adolphe
NAVOLY est né le 11
février 1869 à Donzère, canton de Pierrelatte, Donzère est limitrophe
de Pierrelatte au nord tandis que Bollène l'est au sud.
Né en 1869 il
appartient à la classe de recrutement de 1889 année de ses 20 ans, et
est recensé en 1890, conformément aux dispositions de la toute récente
loi sur le recrutement de l'armée datée du 15 juillet 1889
2
(voir article 10.).
Il doit être recensé par son canton de domicile, à
cette date il est noté résident à Romans comme étudiant ecclésiastique,
toutefois la loi de recrutement distingue lieu de résidence et
domicile, son domicile reste Donzère, du canton de Pierrelate, à
l'adresse de sa mère veuve et toujours domiciliée à Donzère (voir
article 13.).
Si la précédente loi de recrutement du 27 juillet
1872
3
dispensait les élèves ecclésiastiques de service militaire (voir
Article 20. loi de 1872) ; la nouvelle loi les soumet désormais au
service militaire avec toutefois maintien d'une dispense qui limite ce
service à un an au lieu de trois (voir article 23. loi de 1889), cette
disposition fera surnommer cette loi de "
loi des curés sac au dos".
La décision du conseil de révision mentionne que
Louis NAVOLY est "
Bon" (pour
le service) et "
Dispensé"
(service militaire limité à un an), avec la précision suivante "
étudiant ecclésiastique - visité à Romans",
ce qui signifie que Louis NAVOLY ne s'est pas présenté devant le
conseil de révision, mais qu'au moins l'un de ses membres, s'est
lui-même déplacé pour le rencontrer sur son lieu de résidence : le
séminaire à Romans.
Il effectue son année de service militaire du 11
novembre 1890 au 25 septembre 1891 au sein du 22
ème régiment
d'infanterie (caserné à Montélimar en 1890
7)
comme soldat de 2
ème classe obtenant son certificat de bonne
conduite.
Il accomplit une période d'instruction de réserve à
la 14
ème
section d'infirmiers militaires, du 5 septembre au 2 octobre 1893. En
effet la loi de 1889 (article 23) prévoit qu'en cas de mobilisation,
les étudiants en médecine et en pharmacie, et les élèves
ecclésiastiques, sont versés dans le service de santé.
Les conditions dans lesquelles sont appliquées les
dispositions de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889 sur le
recrutement de l'armée, sont précisées par un décret du 23 novembre
1889
5
qui prévoit en son article 34 que, chaque année, jusqu'à l'âge de
vingt-six ans, le dispensé à titre ecclésiastique doit justifier de la
continuation de ses études par la production du certificat
modèle K
annexé au décret ; sur sa fiche de registre matricule, est indiqué que
Louis NAVOLY a fournit ce certificat pour les années 1892, 1893 et 1894.
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modèle du certificat modèle K, extrait du JOURNAL
MILITAIRE année 1889, page 715, disponible sur Gallica5
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Il doit ensuite produire, au plus tard à l'âge
de vingt-six ans, le certificat
modèle
L attestant de son ordination ou
de sa consécration, ce certificat est produit par Louis NAVOLY en 1895,
année de ses vingt-six ans, à défaut de production de ces
certificats (
modèles K et L),
le dispensé à titre ecclésiastique perd le bénéfice de sa dispense, et
est tenu d'accomplir les deux années de service militaire dont il avait
été dispensé (article 24 de la loi de 1889 sur le recrutement de
l'armée).
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modèle du
certificat modèle L, extrait
du JOURNAL MILITAIRE année 1889, page 716, disponible sur Gallica5
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Une nouvelle loi sur le recrutement de l'armée datée
du 21 mars 1905
4
va encore modifier les obligations militaires des prêtres :
- d'une part elle supprime les dispenses en son article 2, les
élèves ecclésiastiques, comme tout Français reconnu propre au service,
effectuent un service militaire de deux ans (article 32 - cette durée
de service sera portée à trois ans par la loi du 7 août 1913 6)
;
- d'autre part il n'est plus fait mention de l'affectation des
élèves ecclésiastiques dans le service de santé en cas de mobilisation,
ils peuvent donc être mobilisés au sein de services armés.
Louis NAVOLY, qui au chapitre de l'armée
territoriale est "
classé non
disponible le 1er novembre 1903 comme vicaire à Livron"
(sans doute Livron-sur-Drôme à 27 km au nord de Montélimar), de ce
fait il n'accomplit pas de période d'exercice dans la territoriale ;
mais en vertu de la loi de 1905, il est "
reclassé dans le droit commun le 8 juin
1906".
Il pouvait dès lors en cas de mobilisation,
être affecté au service armé de la garde des voies de communication, et
c'est ce qui arriva : il est rappelé au service de garde des voies de
communication (SGVC) le 31 juillet 1914, et arrive au corps le 1
er
août 1914, il fait donc partie des premiers GVC convoqués avant même
l'affichage, le 1
er août, de l'ordre de mobilisation
générale fixant le premier jour de la mobilisation au 2 août 1914
8.
Ses différentes affectations mentionnent pour
l'armée territoriale et sa réserve :
- affectation à la 14ème section d'infirmiers militaires
(pour rappel : au sein de laquelle il a effectué une période
d'instruction en 1893) ;
- puis au 111ème régiment d'infanterie territoriale dont
le dépôt régimentaire est à Montélimar, il s'agit d'un rattachement
administratif au régiment d'infanterie territorial de sa subdivision
militaire de recrutement, alors qu'il est convoqué lors de la
mobilisation au service de GVC de cette subdivision, il était
théoriquement en poste comme GVC sur le territoire de sa subdivision
dont font partie les communes de Pierrelatte et Bollène. il est renvoyé
dans ses foyers le 2 septembre 1914 ;
- Il est rappelé à l'activité le 28 mars 1915 (sans précision
d'affectation : de nouveau avec les GVC ? ou au dépôt du 111ème
d'infanterie territoriale ? ailleurs ?)
- Il repasse à la 14ème section d'infirmiers militaires
le 29 février 1916, la quitte le 17 novembre 1917, puis est placé
officiellement en sursis d'appel illimité comme curé à
Portes-lès-Valence, le 24 novembre 1917.
Sur la période de 1891 à 1914 Louis NAVOLY change
fréquemment de résidence, toujours dans la Drôme, mais tantôt sur des
communes dépendant de la subdivision militaire de Montélimar, tantôt
sur la subdivision de Romans. Il ne s'agit à chaque fois que de lieux
identifiés comme des résidences, jamais comme des domiciles, et la
nuance est très importante
9,
il est hébergé par les autorités religieuses au gré de ses mutations,
les lois sur le recrutement militaires identifient ces demeures comme
des résidences, tandis que son domicile reste la demeure familiale de
ses parents à Donzères.
Donzères est du ressort de la subdivision militaire
de Montélimar, c'est du bureau de recrutement de cette subdivision dont
dépend Louis NAVOLY à la mobilisation de 1914, bien qu'il soit à ce
moment, et depuis 1910, prêtre à Portes-lès-Valence qui relève de la
subdivision de Romans.
Mobilisé comme GVC dès la convocation des GVC du 31
juillet 1914 (voir ci-dessus), il est donc normalement affecté à un
poste de GVC sur le territoire de la subdivision de Montélimar, ceci
est confirmé par mention de son affectation au 111
ème
régiment d'infanterie territoriale dont le dépôt est à Montélimar, et
qui est le régiment de rattachement administratif des GVC de cette
subdivision.
L'instruction générale sur l'organisation du service
de garde des voies de communication du 18 octobre 1910
10,
prévoit en son article 5, de composer l'effectif d'un poste de GVC, en
choisissant les hommes "
parmi ceux
résidant dans les communes traversées par les voies de communication ou
les communes limitrophes situées à moins de 10 km (ou,
s'il est
nécessaire, à moins d'une journée de marche) des emplacements fixés
pour l'installation des postes". Même si l'utilisation du
terme "
résidant"
dans la rédaction de l'article 5 de cette instruction de 1910,
spécifique au service des GVC, introduit une certaine confusion par
rapport à ce qui a été dit plus avant à propos de la distinction entre
domicile et résidence, nous avons cité ci-dessus les éléments qui
démontrent que Louis NAVOLY a bien été mobilisé et affecté avec
rattachement à la subdivision de Montélimar, et que c'est donc bien son
domicile à Donzères, qui a été pris en compte pour déterminer cette
affectation.
Louis NAVOLY devait donc théoriquement être affecté
sur un poste de GVC localisé à proximité de Donzères, or Pierrelatte
est limitrophe de Donzères, Louis NAVOLY a donc de très grandes chances
d'être effectivement le curé en soutane montant la garde comme GVC
entre Pierrelatte et Bollène.
Nous n'en avons toutefois pas la certitude absolue,
un autre prêtre, domicilié et affecté au service de GVC dans la même
zone, pourrait très bien avoir existé...seul l'examen des milliers de
fiches de registres matricule des hommes du bureau de recrutement de
Montélimar des classes 1887 à 1892, pourrait infirmer ou confirmer
l'éventualité de cette seconde hypothèse, et là encore sans certitude
absolue que la mention d'affectation comme GVC ou comme ecclésiastique
figure bien sur les fiches de tous les hommes
concernés...