GVC 14-18

Le service de la garde des voies de communication en France pendant la Première Guerre mondiale

La JUGULAIRE

sur le dessus de la visière du képi ? ou sous le menton ?


Jugulaire sur le dessus de la visière  

    Sur la grande majorité des photographies de gardes des voies de communication (GVC), comme sur les deux premières vues ci-dessous, les gardes ne portent pas la jugulaire du képi sous le menton, mais laissent celle-ci tendue contre le bandeau du képi, juste sur le dessus de la visière.


GVC du Rhône - poste 96 BIS - 1915




GVC de L'Arbresle (Rhône) ou proximité - Section ? Groupe 5 poste 32 - 1914
   

Jugulaire sous le menton

    Toutefois sur quelques autres photographies de GVC, certains hommes posent avec la jugulaire sous le menton, comme c'est le cas pour les photographies de groupe ci-après.


GVC portant des uniformes marqués au numéro du 43ème régiment d'infanterie territoriale d'Epinal - problablement 1915
 


GVC aux képis marqués au numéro du 124ème régiment d'infanterie de Laval - probablement 1914
    

    Dans la très grande majorité des cas pour lesquels j'ai pu voir sur une photographie, un GVC portant la jugulaire sous le menton, ce GVC porte aussi son arme.

    C'est le cas des deux photographies ci-dessus, en effet pour chacune, les deux seuls hommes portant fusil et ceinturon sont également les deux seuls hommes avec la jugulaire sous le menton.

    C'est encore le cas pour la vue suivante : les seuls quatres hommes avec jugulaire sous le menton sont les seuls hommes armés de leur fusil.


GVC aux képis marqués au numéro du 54ème régiment d'infanterie de Compiègne - 1914


    Les consignes de port de la jugulaire du képi doivent être dictées par les règlements militaires, je n'ai pas trouvé d'information détaillée sur ce point précis dans les instructions spécifiques aux GVC que j'ai pu consulter à ce jour, néanmoins l'instruction générale sur le service de garde des voies de communication1 du 18 octobre 1910, précise en son article 13 :

                                               ART. 13.                                             
       Les détachements affectés au service de garde sont soumis aux réglements militaires ainsi qu'aux prescriptions de la présente instruction.

    Que prévoient donc les réglements militaires à propos du port de la jugulaire du képi ?



  Le port de la jugulaire dans les règlements militaires




     La note la plus ancienne dont j'ai pu trouver trace sur le sujet est une note ministérielle du 3 avril 1884, relative à l'application de différents articles du règlement du 28 décembre 1883, sur le service intérieur des troupes, il s'agit des articles :
  • 279 pour l'infanterie
  • 271 pour la cavalerie
  • 296 pour l'artillerie
     Cette note, publiée sous le N° 146 au Journal Militaire Officiel2 précise :


" [...] Le Ministre a également décidé que, jusqu'à nouvel ordre, l'insigne de service soit à pied, soit à cheval, consiste dans le port de la jugulaire passée sous le menton."



     Cette notion est transposée dans les termes suivants au règlement sur le service intérieur des troupes d'infanterie (ici selon la version du décret du 20 octobre 18923) :


     ART.279
" [...] Dans chaque arme, des dispositions particulières déterminent l'insigne dont le port constitue la tenue de service.
Pour l'infanterie, l'insigne de service consiste dans le port de la jugulaire sous le menton. [...] "



     La consultation de divers autres règlements militaires permet de préciser davantage la question. Ainsi le guide militaire des étudiants et des médecins et pharmaciens de réserve et de l'armée territoriale4 , en 1897, stipule :


     "Le képi doit toujours être porté avec la jugulaire au-dessus de la visière ; passée sous le menton, soit à pied, soit à cheval, elle constitue l'insigne de service commun à toutes les armes, [...] "


     L'instruction de 1912 sur la tenue, le paquetage et le transport des effets et des vivres dans les unités de l'artillerie5, est encore plus précise sur le port du képi et de sa jugulaire :


"     26. Insigne de service.__ Est constitué par le port de la jugulaire sous le menton. N'est porté que dans les cas déterminés par les règlements et instructions en vigueur."

               et plus loin :

"     49. [...] Le képi, placé droit et d'aplomb, emboite complètement la tête ; le dessus est rentré très régulièrement sur tout son pourtour. La jugulaire, lorsqu'elle est mise sous le menton, touche le visage, en arrière des joues, sans serrer ni être flottante ; lorsqu'elle repose sur la visière, elle doit être appliquée contre le bandeau."



     Ces dispositions sont encore en vigueur pendant la Première Guerre mondiale ainsi qu'en témoigne le Guide Fournier6 édition 1916-1917 :


"   INSIGNE DE SERVICE .__ Est constitué par le port de la jugulaire sous le menton. N'est porté que dans les cas déterminés par les règlements et instructions en vigueur."


Ces jeunes hommes du 128ème régiment d'infanterie en grande tenue de service, portent sous le menton la jugulaire de leur képi de grande tenue pourvu de l'ensemble grenade, cocarde et pompon, en usage seulement entre 1887 et 1910, datant la prise de vue durant cette période.




Ces hommes du 65ème régiment d'infanterie avant guerre sont de service de garde à l'entrée d'une caserne, ils portent donc règlementairement la jugulaire sous le menton comme insigne de service7.




Détachement du 57ème régiment d'infanterie de Bordeaux assurant un service de garde dans une prison de la ville - janvier 1912 - excepté les deux soldats dos au mur sur la droite, tous portent l'insigne de service constitué par la jugulaire sous le menton - le deuxième homme debout à droite porte l'uniforme des personnels de la pénitenciaire8.







Ces hommes du 5ème régiment du génie assurent la garde d'installations ferroviaires durant la grande grève des chemins de fer de 1910.

     Il est à noter que seul le soldat effectivement en sentinelle avec l'arme à l'épaule porte l'insigne de service : la jugulaire sous le menton.

      Il se distingue aussi des autres soldats ici photographiés par ses pans de capote tombant droit sur l'avant de ses jambes, tandis que tous les autres hommes portent les pans de capote écartés relevés et boutonnés par leur coin vers l'arrière.

      Ce dernier détail devait relever également d'une consigne vestimentaire pour les militaires assurant certains services de garde en temps de paix, car tous les hommes des trois photographies précédentes portent également les pans de capotes tombant sur l'avant de la même façon que pour cette sentinelle.

      Cette photographie met en évidence la différence de port des éléments de tenue entre l'homme de service et les autres soldats, dont ce n'est visiblement pas le tour de garde, et montre tout l'intérêt de ces règles vestimentaires : ici avec sa jugulaire sous le menton et ses pans de capote tombants, l'homme de service se distingue au premier coup d'oeil de ses camarades.







Pendant la guerre




Ces soldats du 22ème régiment d'infanterie assurent la garde d'une usine réquisitionnée par le service de la sous intendance, probablement en 1914.

     Là encore seuls les deux hommes armés ont mis la jugulaire sous le menton comme insigne de service.

     De service de garde à l'arrière, ces hommes ne portent, comme les GVC, que le ceinturon avec une seule cartouchière, mais leurs armes sont tout de même ici les fusils Lebel dont sont dotés les régiments en campagne en 1914.



     Les deux hommes à l'arrière plan portent des uniformes d'agents de police.





Photographie prise probablement en 1914 dans le Puy-de-Dôme, dans les environs de Riom, ville de dépôt des unités représentées, ou de Cellule, commune proche de Riom, d'où la photo-carte a été écrite au dos.

     L'officier au centre porte le numéro du 97ème régiment d'infanterie territoriale de Riom, sur le second rang les deux hommes qui ne portent pas de capote portent des effets marqués au numéro du 13ème escadron du train, de la même région militaire, les capotes et képis des autres hommes sont marqués au numéro du 105ème régiment d'infanterie de Riom.

     Toutefois ces hommes paraissent trop âgés pour être des membres de ce régiment d'active en campagne, il s'agit sans doute de réservistes ou territoriaux, ils ne portent d'ailleurs pas des effets neufs de la collection de guerre, mais, comme les GVC, ils ont été dotés de képis et capotes usagés de la collection N°3, dite "collection d'instruction", reconnaissables aux petites pastilles claires visibles sur le devant de nombreux képis, et près du numéro de col de quelques capotes ; ils ont quand même perçu des fusils Lebel, alors que les GVC étaient tous dotés de vieux fusils Gras obsolètes en 1914.

     Ils appartiennent peut-être à l'une des compagnies de dépôt de l'un des régiments de Riom.

     On remarque que les seuls quatre hommes armés, assurant un service de garde quelconque, portent la jugulaire sous le menton dans le respect des règlements militaires.


 


Le respect du règlement par les GVC en service ?


       Le service pour les GVC consistait en un service de garde exécuté par des sentinelles fixes ou des patrouilles pédestres, composées chacunes de deux hommes ; dès la mise en place des postes de GVC, ce service de garde fonctionnait en continu de jour comme de nuit 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, il y avait donc en permanence des GVC de service1, censés selon les réglements évoqués ci-dessus porter la jugulaire sous le menton pendant leur service.

    Pour assurer une sentinelle double ou une patrouille de deux hommes en continu, les plans du service de garde des voies de communication, élaborés dès avant guerre, prévoyaient la mobilisation de huit hommes1, nous avions donc théoriquement en permanence au sein des postes de GVC, jusqu'à six hommes au repos ou vacquant à diverses occupations liées à la vie quotidienne du poste (donc avec la jugulaire par dessus la visière), pour chaque paire d'hommes de service de garde actif (donc avec la jugulaire sous le menton).

    Il n'est pas si simple de constater le respect ou non, par les GVC, du port de l'insigne de service constitué par la jugulaire, au vu des photographies.

    En effet, par définition, globalement les hommes qui posent pour le photographe ne sont pas de service, il est donc assez logique que la très grande majorité des GVC photographiés (le plus souvent en pose de groupe avec ou sans leurs armes), ne portent pas l'insigne de service et conservent la jugulaire au-dessus de la visière.

    Il est également fort probable qu'une partie des hommes qui, au sein d'un groupe photographié, posent avec insigne de service et arme, l'aient fait par mise en scène orchestrée pour la photographie, il ne s'agit donc pas vraiment dans ce cas d'hommes réellement de service, néanmoins cette attitude atteste de la connaissance de la règle par les hommes de ces postes. Cette mise en scène consiste, le plus souvent, à placer ces hommes avec arme et jugulaire sous le menton, sur les deux côtés du groupe photographié, comme c'est le cas pour les trois photographies présentées plus haut au chapitre "Jugulaire sous le menton".

    Les GVC du poste de la ferme du Grand Brevonnelle, dans l'Aube, ont ainsi adopté en 1914 une pose tout à fait exceptionnelle pour leur photo de groupe puisque sur la vue, le caporal et la totalité des soldats portent tous la jugulaire sous le menton, il est évident que les hommes du poste ne pouvaient pas tous être de service en même temps, mais le groupe a toutefois choisi de se représenter en tenue de service pour la photographie souvenir (pour voir la photographie et l'article dédié à ce poste : cliquez ici).

    Le photographe a t'il réussi parfois à photographier des GVC réellement en situation de service ? assurément oui, ou du moins il est permis de le supposer sérieusement pour un certain nombre de vues.


GVC en poste à la gare de Miramas portant un képi marqué au numéro du 115ème régiment d'infanterie territoriale de Marseille.

    Ce GVC est clairement à son poste devant sa guérite de garde placée au passage à niveau devant la gare de Miramas, il porte logiquement l'insigne de service sous forme de la jugulaire sous le menton. La fixation de la baïonnette au canon du fusil témoigne quand même au cas présent, d'une certaine mise en scène pour la photographie.


GVC - lieu et date inconnus - au plus tôt fin 1914 car l'homme de droite porte déjà un képi bleu horizon



     Cette fois également l'homme de service est photographié devant sa guérite de garde.

     Il porte bien sa jugulaire sous le menton comme prescrit par les réglements.

     Il a été rejoint pour la photographie par deux camarades non armés, visiblement au repos.

     Ces derniers portent logiquement la jugulaire au dessus de leur visière.

     Même remarque que sur la photographie précédente s'agissant de la baïonnette.

                                                   

GVC aux képis marqués au numéro du 95ème régiment d'infanterie de Bourges - date inconnue - La femme au centre est sans doute la garde-barrière travaillant pour la compagnie de chemin de fer, entourée de sa famille.

    Pour cette photographie de groupe, l'effectif du poste entier pourrait bien avoir rejoint les deux hommes de service sur leur lieu de garde, à savoir le passage à niveau dont nous apercevons la barrière au premier plan à droite.

    Cette démarche permet de photographier tout le groupe y compris les hommes de service sans que ces derniers n'aient à quitter leur lieu de garde, ces hommes sont les deux seuls armés, et là encore les deux seuls à porter la jugulaire sous le menton.  


     Les baïonnettes sont cette fois au fourreau et pas fixées au canon des fusils, témoignant d'une vision plus naturelle du GVC de service de jour, que sur les deux vues précédentes.





Poste de GVC N°30 d'un groupe 4 d'une section B - 31 octobre 1914 - localisé à "Le Guerreau" ???
képis marqués au numéro du 125ème régiment d'infanterie de Poitiers


    
     Les membres de ce poste auraient bien fait la même démarche en rejoignant une patrouille à proximité de la voie ferrée, dont un rail est partiellement visible en bas à gauche de la vue.

     Le respect de l'insigne de service est moins flagrant sur ce cliché, en effet sur les trois hommes armés seul celui de gauche porte la jugulaire sous le menton.

     Tous les hommes en capote portent toutefois celle-ci avec les pans tombant sur le devant, de la même manière que vu plus haut sur toutes les photographies de soldats assurant un service de garde avant guerre.

     Le sergent en capote au centre est le chef de ce poste de GVC, l'homme à sa droite avec l'insigne de caporal sur la poitrine est son adjoint.





    Cette dernière photographie, bien qu'endommagée, est d'un intérêt remarquable, car le photographe semble bien ici, avoir mis la main sur la patrouille pendant son service pour la photographier.

     Fusil à l'épaule, baïonnette au fourreau, sale temps, boue et résidus de neige au sol...autant de détails qui plaident ici pour une vue très réaliste des GVC de service.

    Mais cette fois, force est de constater que ces deux hommes ne portent pas l'insigne de service, car leur jugulaire est restée tendue sur le dessus de la visière.
 

Conclusion

    Le port de la jugulaire sous le menton constitue l'insigne de service en vertu des règlements militaires, les GVC de service , c'est à dire ceux de garde en sentinelle fixe ou patrouille, y sont bien soumis et les exemples photographiques étudiés nous confirment que cette règle est bien connue des GVC, et vraisemblablement globalement respectée, même si les deux derniers exemples en image montrent que quelques libertés étaient sans doute prises ici ou là dans le port de la jugulaire.

    A l'inverse ceux qui ne sont pas de service de garde effectif, conservent la jugulaire sur le dessus de leur visière, ces derniers sont largement majoritaires sur les photographies de GVC car comme nous l'avons vu :
  • à chaque instant dans un poste de GVC il y a plus d'hommes au "repos" que d'hommes de garde
  • les hommes sont rarement réellement de service au moment où ils posent pour le photographe.

___________________________________________________________________

Notes

1.     "Instruction générale sur le service de garde des voies de communication" - Ministère de la Guerre - 18 octobre 1910 - Imprimerie Nationale.

Transcription complète réalisée par Arnaud Carobbi disponible sur son site "LE PARCOURS DU COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918"
accessible ici

exemplaires originaux disponibles :
    • Service historique de la défense - Vincennes - cote 16 N 2810 - consultation sur place sur réservation de cote préalable.
    • Archives départementales de la Sarthe - Le Mans - AD72 cote  1R825 . Service des GVC.  Relevé de cote par Arnaud Carobbi
2.     " JOURNAL MILITAIRE OFFICIEL - PARTIE REGLEMENTAIRE - Année 1884.  N° 29."  Note N°146 voir page 432
       exemplaire en ligne disponible sur Gallica

3.    
D'après  le "MANUEL D'INFANTERIE  A L'USAGE DES  SOUS-OFFICIERS ET CAPORAUX" - 28e édition - 1896  - par Henri CHARLES-LAVAUZELLE Editeur Militaire à Paris et Limoges                      voir page 400

4.     "Guide militaire des étudiants et des médecins et pharmaciens de réserve et de l'armée territoriale" par MM. Arthur PETIT et Lucien COLLIN, Médecins-Majors de l'Armée - Troisième édition  - Paris 1897 - Société d'Editions Scientifiques      voir page 529
        
exemplaire en ligne disponible sur Gallica

5.     "Instruction sur la tenue, le paquetage et le transport des effets et des vivres dans les unités de l'artillerie" - Ministère de la Guerre  - Imprimerie Nationale - 1912               voir page 16  et  page 32
       exemplaire en ligne disponible sur Gallica

6.     "GUIDE FOURNIER 1916-1917" - 8e ANNEE 10e EDITION -           voir page 87
       exemplaire en ligne disponible sur Gallica

7. et  8.     En complément voir sur le site "LE PARCOURS DU COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918" deux articles en lien direct avec ces photographies :

        7.     L'analyse d'une photographie d'un poste de garde à l'entrée d'une caserne : cliquez ici

        8.     Un article complet sur la base de cette même photographie des soldats du 57ème régiment d'infanterie de Bordeaux, cette étude a permis de localiser la photographie devant une prison, et apporte des éléments d'explication relatifs à la présence des deux caporaux de couleur parmi ces hommes d'un régiment d'infanterie métropolitain : cliquez ici  
 


Si vous avez des remarques, suggestions, impressions, commentaires, envie de contributions, questions ?
n'hésitez pas à en faire part à l'auteur à l'adresse  gvc1418@gmail.co