Cet article a été rédigé avec l'aide d'un habitant de Brevonnes, qui après avoir découvert et visité ce site dédié aux GVC, m'a soumis cette magnifique photographie1 de groupe, sur laquelle figure son grand oncle : Eugène Thillerot.
Une pose parfaite
Ce groupe de gardes des voies de communication (GVC) a pris la pose dans un ordre impeccable sur deux rangs ; ils ont mis la baïonnette au canon de leur fusil Gras, ont posé quelques-uns des fusils en faisceau de chaque côté du groupe, en joignant le drapeau tricolore au faisceau de droite.
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Le premier homme debout à gauche sur le second rang, au dessus duquel
une croix a été marquée sur le tirage de la photographie, est identifié
: il s'agit d'Eugène Thillerot, de son état civil complet Thillerot Victor Eugène Napoléon, tel que retranscrit sur la table répertoire alphabétique des registres matricules de la classe de recrutement de 1890 pour le bureau de recrutement de Troyes dans l'Aube5. Il porte autour du cou un cordon au bout duquel pend un sifflet, qu'il a calé entre les boutons de sa capote. Chaque poste de GVC en percevait quelques-uns. La famille Thillerot a gardé souvenir que le poste de GVC d'Eugène Thillerot était installé dans une ferme dans les environs de son domicile : la ferme de Brevonnelle, que cette ferme était la propriété de Monsieur James Mérat, et que cet homme était également le chef de ce poste de GVC hébergé dans sa propre ferme !! La photographie recèle encore une information primordiale permettant de confirmer ces éléments. Sur le mur du fond, juste au dessus du centre du groupe, les hommes ont accroché une pancarte : celle-ci comporte une inscription, très peu visible au premier regard, toutefois un scan en bonne résolution de la photographie, suivi d'un petit traitement de l'image avec des logiciels modernes, passage en négatif, puis quelques essais de modulation sur les réglages de contraste, de luminosité et de saturation de l'image vont faire des miracles : |
Nous parvenons ainsi à déchiffrer :
Service de garde des voies
de communication
E - 2 - 4
Poste de Brevonnelle
1914
Titre
de la carte : Manoeuvres d'Armée de l'Est en 1905. 1 : 80
000. Feuille B [Vitry-Brienne]. Revision de 1896-1901 Source :
carte disponible sur gallica.bnf.fr
accès direct à la
carte |
La mention E - 2 - 4 nous indique qu'il s'agit du poste de GVC numéro 4, appartenant au groupe 2 de la section E. | |
Ces
mêmes références sont peintes en blanc au pochoir sur les brassards
bleu des hommes sous la forme réglementaire E-2 GC 4-? ( avec
à la place du " ? " un numéro
individuel pour chaque homme du poste)4
:
Le
chef du poste et son adjoint sont ici très faciles à repérer, assis de
part et d'autre de la table devant le centre du groupe.
Le chef de poste à droite porte au dessus de sa visière de képi une fausse jugulaire dorée de sous officier, et, au bas de ses manches, un galon oblique doré de sergent. Ces galons apparaissent blancs sur le tirage noir et blanc ; attention à ne pas confondre avec le galon oblique de l'homme debout juste derrière lui ; ce galon, bien que blanc sur la photographie, est en réalité un galon écarlate de soldat de 1ère classe, repassé à la craie pour la photographie, le premier soldat du premier rang debout en partant de la gauche porte ce même galon également blanchi. L'adjoint du chef de poste est assis à gauche et porte aux bas de manches deux galons obliques écarlates de caporal, qu'il a ici lui aussi blanchi à la craie pour les rendre visibles sur la photographie en noir et blanc : |
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Le sergent chef de poste reçoit le brassard numéro 1 ; le caporal, adjoint
au chef de poste le numéro 2,
les numéros 3 et
suivants sont attribués aux autres hommes du poste de GVC. |
Ce sergent est le chef de ce poste de GVC. |
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Selon les souvenirs de la famille Thillerot il s'agirait de Monsieur
James Mérat, également propriétaire de cette ferme du Grand Brevonnelle. La ferme est située sur le territoire de la commune de Mathaux. La consultation du recensement5 de la population de cette commune en 1911, le dernier en date avant 1914, confirme l'identité des occupants de la ferme à cette époque. Brevonnelle est sur ce document orthographié comme sur la pancarte de la photographie des GVC (on notera la variante orthographique par rapport à la carte de 1905 qui nommait la ferme Brévonelle), elle est classée parmi les fermes en dehors de l'agglomération, y sont comptés 1 maison occupée par 1 ménage, y vivent 9 individus tous français :
Paul James Savinien Mérat figure bien sur la table répertoire alphabétique des registres matricules de la classe de recrutement de 1891 (soit l'année de ses vingt ans) pour le bureau de recrutement de Troyes dans l'Aube5, cette classe figure parmi celles qui, en 1914, composent la réserve de l'armée territoriale dont proviennent les hommes affectés au service de la garde des voies de communication (SGVC), au moment de la mobilisation générale d'août 1914. |
Selon un volume publié en 1900 des Mémoires de la Société académique d'agriculture, des sciences, arts et belles lettres, du département de l'Aube6 :
Les cantonnements des postes de GVC étaient installés au plus près de la voie ferrée à surveiller, dans des locaux réquisitionnés à cet effet4 : des bâtiments des compagnies de chemin de fer, des habitations, des fermes, des hangars, des granges... ; pour les portions de voies sans habitat ou local à proximité immédiate, le poste pouvait être installé sous tentes militaires.
Ces dispositions et les lieux à réquisitionner étaient prévus dès avant guerre dans les plans du service de garde des voies de communication.
Les GVC mobilisés préparaient et prenaient leurs repas en ces lieux, et y couchaient, on prévoyait pour le couchage de la paille réquisitionnée et des couvertures fournies par l'armée (les couvertures accrochées au mur derrière le groupe photographié).
La ferme toujours réquisitionnée en 1915 mais avec un effectif du poste de GVC renouvelé
Au hasard des recherches effectuées pour rédiger cet article, nous avons découvert l'existence d'au moins une seconde photographie de la ferme du Grand Brevonnelle occupée par des GVC, grace à l'aide apportée par une autre habitante de Brevonnes, voici cette seconde vue1 :
Les hommes posent dans la cour
devant l'un des bâtiments de la ferme, mais ce ne sont plus les mêmes
que ceux de 1914 sous le commandement de James Mérat !
Cette photographie, au format carte postale de l'époque, porte au dos un texte daté de juillet 1915, signé de James Mérat lui-même : il écrit à un proche, lui précise que la photographie est bien une vue de la ferme de Brevonnelle et que ce sont les soldats qui l'ont commanditée, comme s'il ne s'incluait plus dans ce groupe des soldats. Il évoque également l'avancement des travaux des champs.
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La tenue des militaires est représentative de
1915 par sa diversité,
et est très différente de celle des GVC photographiés en 1914. Les effets (képi, capote, vareuse) apparaissant gris clair sur le tirage noir et blanc sont les nouveaux vêtements bleu horizon. Quelques hommes portent leur brassard de GVC, on peut y lire les mêmes références que sur les brassards de 1914 : E-2 GC 4-? , ceci signifie qu'il s'agit bien effectivement du même poste de GVC et que l'identification de celui-ci n'a pas été modifiée. Il y a un sergent (second homme depuis la gauche sur la vue), reconnaissable à son galon de manche (dont la taille a été réglementairement réduite par rapport à celui de 1914) et toujours la même fausse jugulaire dorée de sous-officier au dessus de la visière du képi, cet homme est susceptible d'être le chef du poste de GVC à cette date. Mais ce dernier ne ressemble pas du tout à James Mérat visible sur la photographie de 1914. |
De fait il y a un homme en civil, au centre de
la vue, dont les traits sont ceux de James Mérat. Il porte une belle
tenue : chemise blanche avec noeud au col, gilet, canotier. Sur la gauche de la vue posent aussi deux femmes et deux jeunes garçons, nous avons là la famille Mérat au complet, qui a revêtu ses beaux habits pour la photographie : ses deux fils, ainsi que son épouse, que nous supposons être la femme portant les plus beaux vêtements, à droite avec le chat noir et le panier. |
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La seconde femme est sans doute une proche, ou bien une employée de la ferme. |
Ces éléments : présence d'un nouveau sergent, et de
James Mérat en civil, laissent penser qu'à ce moment, ce dernier a été
rendu par l'armée à la
gestion de sa ferme (ce que sa fiche matricule pourrait confirmer - la
série des fiches de sa classe de recrutement n'est à ce jour pas encore
mise en ligne par les archives départementales de l'Aube, pas plus que
celles de la classe d'Eugène Thillerot).
En
incluant le sergent, il y a sur cette vue de 1915, dix hommes en képi
militaire, dont neuf de la nouvelle teinte claire bleu horizon,
et un à droite en képi foncé de l'entrée en guerre (garance à bandeau
bleu foncé).
Trois
hommes portent la cravate militaire : les deux hommes au premier
plan de part et d'autre de la vue, ainsi que l'homme au tablier à côté
des femmes.
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Les
deux hommes assis sur des chaises sur la partie droite de la vue
ressemblent beaucoup aux autres militaires, même tranche d'âge
apparente, même style d'allure et de tenue, il s'agit sans doute de
militaires également, ce qui porterait le total des soldats visibles
sur la vue à quinze, soit à peine moins que sur la vue de 1914.
Seul l'homme assis à la table avec les soldats, juste à droite de James Mérat, porte une casquette plate civile, ce qui me conduit à l'exclure du nombre des soldats ; il peut s'agir d'un proche de la famille ou d'un employé de la ferme. |
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Outre la présence de civils, la pose des militaires pour cette vue est beaucoup moins martiale que celle du groupe de 1914. En effet, les hommes ont décidé ici de se représenter vaquant à diverses occupations de leur quotidien, dans des tenues variées. Les deux hommes au premier plan miment un jeu de lancer de balle, tenue dans la main de l'homme de droite. L'un des hommes assis sur une chaise, taille et lave des salades, tandis que le second prépare du café, avec son petit moulin à moudre à tiroir calé entre les deux genoux. L'homme au tablier se fait remettre des oeufs par la maîtresse de maison. Les hommes attablés au centre boivent une petite tasse ou un petit verre. |
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Seulement quelques hommes portent au bras gauche leur brassard de GVC,
et un seul est en tenue de faction complète avec son arme.
Le sergent examine ou lit un document tenu entre ses mains. |
Pour le savoir un examen attentif des képis et cols nous permet de voir
si des numéros régimentaires sont lisibles.
Sur l'un des képis clairs nous distinguons ce qui semble être un numéro 18 en sombre, ce qui désignerait des hommes habillés par le dépôt du 18ème régiment d'infanterie de Pau2. Un homme porte un képi qui pourrait être marqué d'un 7 en blanc, ceci nous orienterait vers le 7ème régiment d'infanterie territoriale, dont le dépôt régimentaire était localisé à Saint-Omer au début de la guerre2, mais, trop proche de la ligne de front, il a ensuite été transféré à Bergerac10. Nous aurions donc là, à la ferme de Brevonnelle en 1915, des hommes provenant du Sud-Ouest de la France, venus relever les GVC de 1914. |
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1. La première photographie de cet article est la propriété de la famille Thillerot, la seconde est la propriété de la famille P. ; leur réutilisation est interdite sans l'autorisation de ces propriétaires.
2. Voir à ce sujet l'article IDENTIFIER PAR LE NUMERO DES KEPIS OU DES COLS illustré de plusieurs exemples de photographies commentées en détail, et comportant deux tables de localisation des lieux de garnison de tous les régiment d'infanterie et d'infanterie territoriale au moment de la mobilisation de 1914.
3.
Voir l'article LA JUGULAIRE :
SUR LE DESSUS DE LA VISIERE DU KEPI ? OU
SOUS LE MENTON ?
4. Voir "Instruction générale sur le service de
garde des
voies de communication" - Ministère de la Guerre - 18 octobre
1910 -
Imprimerie Nationale.
Transcription
complète réalisée
par Arnaud Carobbi disponible sur son site "LE PARCOURS DU
COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918" accessible ici
exemplaires
originaux disponibles
:
5. Source :
archives
départementales de l'Aube
6. Voir "MEMOIRES DE LA SOCIETE ACADEMIQUE D'AGRICULTURE, DES SCIENCES, ARTS ET BELLES LETTRES, DU DEPARTEMENT DE L'AUBE" - TOME LXIV DE LA COLLECTION - TOME XXXVII.- TROISIEME SERIE - ANNEE 1900 - TROYES - PAUL NOUEL, imprimeur de la société, successeur de M. DUFOUR-BOUQUOT Rue Notre-Dame, 41 & 43.
exemplaire
numérisé disponible sur Gallica
7. Voir sur ce site le plan de mobilisation du SGVC pour la 3ème région militaire
8.
Le rapport du député Louis MARIN à propos des
pertes au cours de la
Grande Guerre (disponible en ligne sur gallica dans le N°
19 des "ARCHIVES DE LA
GRANDE GUERRE" publié en 1921 ) présente des données
sur les périodes de mobilisations et d'incorporations :
9. Voir à ce sujet
l'article LES REGIONS DE
L'ARRIERE ENVOIENT DES RENFORTS DE GVC PRES DU FRONT
10. Voir "Guide Fournier : 1916-1917, à l'usage de MM. les officiers de toutes armes et de tous services, 8e année (10e édition)" - disponible sur Gallica (voir page 347)
Page mise en ligne le 7 septembre 2015, mise à jour complète de la seconde partie le 20 novembre 2015, actualisation des liens le 29 mai 2019