GVC 14-18

Le service de la garde des voies de communication en France pendant la Première Guerre mondiale

Des GVC en uniformes de hussards
première partie



    L'instruction générale de 1910 sur le service de garde des voies de communication1 prévoit, en cas de mise en place de ce service, que les effets militaires utilisés par les gardes des voies de communication (GVC), doivent être des effets d'uniformes de l'infanterie :

Article 11 pages 14 et 15  Habillement, équipement, armement  :                                                                                                

"Le régiment subdivisionnaire d'infanterie expédie d'urgence, dans chaque poste, par l'intermédiaire des chefs de gare pour les
postes placés sur les voies ferrées, l'habillement, les armes, les munitions et les effets d'équipement fixés par les annexes 2, 3
et 4 de la présente instruction.
"

[...]

"Les effets (képi, capote, pantalon et cravate pour chaque homme) sont prélevés sur les collections n°s 2 et 3 du régiment actif
 subdivisionnaire,
[...]."
                                                                          

   
    La grande majorité des photographies de GVC durant la Première Guerre mondiale, montrent effectivement que les effets d'uniformes dont ils sont pourvus, sont souvent des effets provenant du dépôt du régiment d'infanterie de ligne de leur subdivision (le "régiment actif subdivisionnaire").

    Cependant sur de nombreuses photographies de la période de la guerre, figurent également des GVC habillés avec bien d'autres sortes d'uniformes, biens différents de celui prévu par l'instruction ci-dessus.

    L'une des variantes les plus étonnantes, est sans doute celle de postes entiers de GVC vêtus d'uniformes de cavalerie, les GVC n'effectuent en effet pas un service à cheval, et aucun texte ne prévoit d'ailleurs de les doter de chevaux !


   
    Cette photographie nous présente un groupe d'hommes portant des uniformes de hussards marqués au numéro du 10e régiment de hussards de Tarbes2.

    Ils portent un képi garance à bandeau et cordonnet bleu de ciel, une tunique bleu de ciel, une culotte de cavalerie garance, le numéro régimentaire est de couleur garance. Si les hommes de droite portent des bandes molletières d'une couleur foncée non déterminée, le 1er homme debout à gauche ainsi que le 1er assis à gauche portent des jambières en cuir de cavaliers (mais visibles ici sans éperons, accessoires inutiles sans cheval...).

    Le panneau au pied du groupe portant l'inscription "POSTE DE LANESPEDE 1914" interpelle, pourrait-il s'agir d'un poste de GVC ?

    Lanespède est une commune des Hautes-Pyrénées, traversée par un tronçon de chemin de fer qui relie Tarbes, ville de garnison, à Lannemezan. Autre particularité ce tronçon comporte un grand viaduc de chemins de fer sur le territoire de la commune. Voilà de bonnes raisons pour y voir au moins un poste de garde des voies de communication installé à la mobilisation générale.




    L'instruction générale de 1910 sur le service de garde des voies de communication1 précise que les hommes affectés au service des GVC à la mobilisation générale, sont postés dans leur propre subdivision militaire de recrutement sur le territoire de laquelle est situé leur domicile :

Article 5 pages 10  Désignation des hommes  :                                                                                                

" Les désignations sont faites de manière que le service puisse fonctionner à tout moment et dès les premières heures de
la mobilisation. Dans ce but, les hommes sont choisis parmi ceux résident dans les communes traversées par les voies de
communication ou dans les communes limitrophes situées à moins de 10 kilomètres (où, s'il est nécessaire, à moins d'une
journée de marche) des emplacements fixés pour l''installation des postes.
"
                                                                          

    Ici nous avons des hommes postés à Lanespède en 1914 dans les environs de Tarbes, il s'agit normalement d'hommes domiciliés dans cette subdivision de recrutement, ce qui semble être le cas puisqu'ils portent l'uniforme d'un régiment caserné à Tarbes.  

    Cette instruction générale précise aussi quelles catégories de mobilisés doivent être affectés au service de la garde des voies de communication :

Article 5 pages 10  Désignation des hommes  :                                                                                                

" Les hommes destinés à faire partie des postes sont désignés parmi ceux disponibles appartenant à la réserve de l'armée
territoriale, à l'exclusion des hommes du service auxiliaire.

     Exceptionnellement, et à défaut de ressouces suffisantes dans cette réserve, des hommes faisant partie de l'armée
territoriale peuvent, avec l'autorisation du Ministre, être désignés pour participer au service ; dans les subdivisions où les
régiments territoriaux présentent des excédents d'effectifs, ces excédents peuvent également être utilisés."
                                                                          

    Donc en 1914, les hommes mobilisés pouvant être affectés sur un poste de GVC sont soit des réservistes de l'armée territoriale (hommes atteignant 42 à 47 ans en 1914), soit éventuellement des hommes de l'armée territoriale (atteignant 35 à 41 ans en 1914). Le visage des hommes de notre groupe semble correspondre au moins à des territoriaux ayant bien dépassé leurs 35 ans, plutôt qu'à des jeunes soldats de l'armée d'active dans leur vingtaine ou même qu'aux réservistes de l'active les plus âgés fraichement trentenaires.

    Des mobilisés de l'armée territoriale auraient-il pu être réglementairement pourvus d'uniformes de hussards à la mobilisation générale de 1914 ?

    Il se trouve que oui, il existe en effet dans le cadre de l'armée territoriale des escadrons territoriaux de cavalerie légère3. Ces escadrons portent l'uniforme du régiment de l'armée d'active auquel ils sont rattachés (régiment de hussard ou régiment de chasseur à cheval pour la cavalerie légère), toutefois le numéro porté au képi et au col de ces escadrons n'est pas celui du régiment de rattachement, mais celui de la région militaire d'appartenance, et ce numéro est découpé en drap blanc (le blanc est la couleur des numéros des unités de l'armée territoriale).
 

Voici une photographie de membres d'un escadron territorial de cavalerie légère :

     Ces hommes portent les mêmes uniformes de hussards que les hommes du poste de Lanespède, complétés des  tresses plates blanches sur les épaules (qui pourraient également ne pas être portées)

     A noter que contrairement aux hommes du poste de Lanespède, tous portent ici les jambières de cavaliers, ainsi que les éperons, ce qui confirme l'effectivité d'un service à cheval.

     Les trois hommes de gauche portent , comme les fantassins, le couvre-képi bleu adopté en 1913 pour masquer la partie garance de leur képi.

     Les deux hommes de droite ne portent pas ces couvres-képi ce qui permet de constater que képis et cols sont marqué au numéro 9 blanc de la 9e région militaire, les désignant comme membres de l'escadron territorial de cavalerie légère formé à Niort2 pour cette région militaire, rattaché au 7e régiment de hussards de Niort qui a fourni les uniformes.



    Les hommes du poste de Lanespède ne portent pas ces numéros blancs spécifiques aux escadrons territoriaux de cavalerie lègère, ce qui laisserait supposer qu'ils ne font pas partie de ce genre d'escadron ; ils portent le numéro garance d'origine du régiment pourvoyeur des uniformes (le 10e hussard de Tarbes), apparaissant en foncé sur la photographie noir et blanc.

    A y regarder de plus près certains képis et cols de tuniques portent également à proximité du numéro régimentaire une petite pastille ronde métalique :





    Cette pastille, non présente sur la photographie des hommes de l'escadron territorial de cavalerie légère, identifie les effets d'uniformes sur lesquels elle est apposée comme appartenant à la collection d'instruction, ou collection n°3, des uniformes détenus par le régiment qui les a fournis, il s'agit des effets les plus usagés encore utilisés au sein du régiment, en comparaison la collection n°1 dite collection de guerre, avec laquelle le régiment de l'armée d'active part en campagne, est composée d'effets neufs.

    Revenons à Larticle 11 de l'instruction générale de 1910 sur le service de garde des voies de communication1 qui apporte une précision importante sur les tenues destinées aux GVC :

Article 11 pages 14 et 15  Habillement, équipement, armement  :                                                                                                

[...]
"Les effets (képi, capote, pantalon et cravate pour chaque homme) sont prélevés sur les collections n°s 2 et 3 du régiment actif
 subdivisionnaire,
[...]."
                                                                          

    Les GVC doivent précisémment être équippés en partie avec ces uniformes de collection n°3, comme l'ont été ces hommes du poste de Lanespède.

    Examinons maintenant les marques de manches des deux hommes assis devant au centre du groupe, Nous avons là un galon argenté de maréchal des logis (équivalent du sergent dans l'infanterie) et un double galon garance de brigadier (équivalent de caporal), ce qui correspond exactement au profil de commandement d'un poste de GVC, à savoir un équivalent de sergent chef de poste, et un équivalent de caporal adjoint à ce chef de poste.



    En conclusion ces hommes du poste de Lanespède présentent avec les GVC de nombreux points communs qui tendent à accréditer l'hypothèse selon laquelle le poste de Lanespède est bien un poste de garde des voies de communication :
  • la commune de Lanespède est traversée par une voie ferrée comportant un viaduc ferroviaire, ce qui peut justifier la mise en place en 1914 d'une surveillance par un ou des postes de GVC ;
  • les hommes semblent d'âge mûr correspondant à des territoriaux ou réservistes de la territoriale, comme les GVC de la mobilisation générale ;
  • la présence sur la photographie d'un sous-officier maréchal des logis, d'un brigadier, et de soldats, correspond à la structure d'effectif et de commandement d'un poste de GVC ;
  • ce sont des hommes recrutés en local comme en atteste leur port de l'uniforme d'un régiment de la région ; ce qui correspond à la doctrine d'affectation des hommes en tant que GVC en 1914 ;
  • bien que vêtus d'un uniforme de hussard, le marquage de celui-ci ne correspond pas au marquage des uniformes des escadrons territoriaux de cavalerie légère, seule structure pouvant par ailleurs présenter des territoriaux en uniformes de hussards ;
  • l'usage d'effets d'uniformes de la collection d'instruction correspond aux dotations d'effets militaires préconisées pour les GVC ;
    En revanche nous avons vu que l'instruction générale de 1910 sur le service de garde des voies de communication, prévoit que ces effets d'uniformes doivent être fournis par des régiments d'infanterie, alors pourquoi ce groupe a perçu des uniformes de hussards ?

    Avec la mobilisation générale de 1914, les besoins en uniformes d'infanterie ont été titanesques et sans précédent, vidant littéralement les dépôts régimentaires, avec l'appel des réservistes de complément des régiments d'infanterie d'active, la levée des régiments de réserve et régiments territoriaux...

    Aussi quand il s'est agi de fournir des uniformes à ces GVC, en 1914, que déjà les instructions prévoyaient d'équiper avec les derniers effets militaires utilisables (collections d'effets n°2 et 3) et même malgré les prévisions d'avant guerre dans la gestion des tenues, certains dépôts de régiments d'infanterie théoriquement pourvoyeurs de ces vêtements, ce sont peut être trouvé rapidement à court d'effets pour habiller les GVC de leur subdivision, tandis que le dépôt régimentaire ici du régiment de hussard, avait peut-être de son côté assez d'effets de collections n°2 et 3 disponibles pour habiller de façon homogène des postes entiers de GVC.

    Aucun des hommes du poste de Lanespède ne porte un brassard de GVC sur cette photographie, ce qui ne permet pas de donner à cette conclusion un caractère totalement irréfutable.

    Toutefois même des militaires formellement identifiés comme des GVC sont souvent photographiés sans leur brassard dont le port est surtout obligatoire en service, par définition l'homme qui pose pour la photographie de groupe n'est à ce moment pas en service de garde, de la même manière tous ces hommes ne portent ni ceinturons ni cartouchières ni armement sur cette vue, alors qu'ils en sont pourtant certainement dotés.

    
     Pour confirmer l'hypothèse de GVC en uniformes
de hussards, il  faudra  présenter  de  tels  hommes
photographiés avec  leurs  brassards de GVC, c'est
ce  à  quoi   sera  consacrée   prochainement   la 
deuxième partie de cette étude.


Yannick LE GRATIET

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Notes
1.     "Instruction générale sur le service de garde des voies de communication" - Ministère de la Guerre - 18 octobre 1910 - Imprimerie Nationale.

Transcriptions complètes
  •  réalisée par Arnaud Carobbi disponible sur son site "LE PARCOURS DU COMBATTANT DE LA GUERRE 1914-1918" accessible ici
exemplaires originaux disponibles :
    • Service historique de la défense - Vincennes - cote 16 N 2810 - consultation sur place sur réservation de cote préalable.
    • Archives départementales de la Sarthe - Le Mans - AD72 cote  1R825 . Service des GVC.  Relevé de cote par Arnaud Carobbi.

2.    
D'après "Répartition et emplacement des troupes de l'armée Française" - Ministère de la guerre - 1er mai 1914 - Imprimerie Nationale.

exemplaires originaux disponibles :
  • cinq exemplaires disponibles en consultation sur place à la bibliothèque "Armée de Terre" du service historique de la défense à Vincennes - cote des cinq exemplaires : 100409 à 100413 - accès au catalogue en ligne ici
  • Archives départementales d'Indre et Loire - Tours - AD37 cote 1R8. Relevé de cote par Arnaud Carobbi que je remercie ici pour m'avoir signalé cette source.

3.
 
Gallica : JOURNAL MILITAIRE OFFICIEL. PARTIE REGLEMENTAIRE. Année 1884. N° 45

        pour la question des uniformes voir l'article 11 page 662




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