GVC 14-18

Le service de la garde des voies de communication en France pendant la Première Guerre mondiale

la presse ancienne

Une description erronée du brassard du service de la police des voies ferrées et de leurs abords,

 et la première utilisation écrite du terme "garde-voie" dans le journal l' ECHO DE LA GENDARMERIE NATIONALE du 12 février 1888


    L'ECHO DE LA GENDARMERIE NATIONALE se présente, selon son en-tête, comme un "journal non politique, créé spécialement pour la défense des intérêts de l'arme" paraissant le dimanche.

    Bien que s'adressant prioritairement à un public composé de gendarmes, il s'agit bien d'un organe de presse et en aucun cas d'un journal officiel de l'arme ou de publication des règlements militaires du Ministère de la guerre, même s'il fait toutefois écho des décisions officielles pouvant intéresser les gendarmes, ou en recopie certaines dans ses rubriques "Partie officielle" et "Circulaires et décisions".

    En 1888, ce journal est dans sa neuvième année de publication ; un an plus tôt, en janvier 1887, a été fraîchement créé le nouveau service de police des voies ferrées et de leurs abords (genèse du service de garde des voies de communication) dont le dispositif prévoit en cas de mobilisation la garde des voies ferrées par des réservistes de l'armée territoriale, et accorde un rôle assez important à la gendarmerie1.

    Dans son numéro 389 du 12 février 1888, ce journal publie dans sa rubrique "Information" un court article titré : "Les garde-voie territoriaux" 2 :
         

                                                                                          


 



Les garde-voie territoriaux

     Le Ministre de la guerre vient de donner des ordres en vue de l'organisation définitive des soldats de l'armée territoriale désignés pour être employés comme garde-voie sur nos lignes ferrées, en cas de mobilisation.
     Ce corps spécial, dont l'organisation rendra les plus grands services au point de vue de la sécurité de la concentration des troupes, aura un insigne spécial consistant en un brassard blanc, orné d'une étoile à cinq branches en drap gris bleuté.
    

         

    Première précision importante pour la compréhension de ce qui suit, cet article ne figure pas dans les rubriques  "Partie officielle" ou "Circulaires et décisions" du journal, mais dans la rubrique "Information", il ne s'agit absolument pas de la copie ou d'un extrait d'une instruction ou d'une note officielle, mais bien d'une brève rédigée par les journalistes de l'ECHO DE LA GENDARMERIE NATIONALE.

 
La première utilisation écrite du terme "garde-voie" pour désigner les soldats territoriaux affectés à la surveillance des voies ferrées ?

    L'article est publié dans l'édition du 12 février 1888, il évoque des soldats de l'armée territoriale affectés à la garde des voies ferrées en cas de mobilisation, selon une organisation ordonnée récemment par le Ministre de la guerre.

    Il est donc fait ici clairement référence à la mise en place du service de police des voies ferrées et de leurs abords, dont l'organisation est décrite, pour la première fois, par une instruction datée du 7 janvier 1887, publiée en mars 1887 au N° 342 du MONITEUR DE LA GENDARMERIE et en avril 1887 au N° 1493 du JOURNAL DE LA GENDARMERIE3 ; instruction suivie dès le courant de l'année 1887 par l'établissement de documents d'organisation du service, dont un exemple daté d'août 1887 a déjà été présenté et commenté sur ce site1, soit seulement quelques mois avant le 12 février 1888.

    Ce service est alors organisé par communes traversées par les voies ferrées, l'instruction évoque des groupes communaux ou contingents communaux, et des gardes communaux, qui sont des soldats de l'armée territoriale affectés à ce service en cas de mobilisation ; à aucun moment à cette époque, l'instruction officielle n'utilise les vocables garde-voie ou garde des voies pour désigner soit le service soit les hommes qui le composent.

    Ce n'est que dans une nouvelle organisation du service décrite dans une future instruction de 1890 que celui-ci sera désigné officiellement service de garde des voies de communication (ou SGVC) et que les gardes seront nommés gardes des voies de communication (GVC).

    L'ECHO DE LA GENDARMERIE NATIONALE fait donc ici, avec sa publication de février 1888, preuve d'une certaine liberté en ne reprenant pas les termes exacts de l'instruction officielle et en évoquant à la place des garde-voie territoriaux et des garde-voie sur nos lignes ferrées, c'est à ce jour le document écrit le plus ancien sur lequel j'ai pu constater l'utilisation de ce vocable pour désigner les hommes affectés à cette mission, à ce titre ce choix des termes est donc ici tout à fait précurseur.

    En revanche, cette liberté de réécriture du texte officiel sera fatale à la description du brassard !


Une description fantaisiste et erronée du brassard adopté pour les gardes ?

    L'article précise que ce corps spécial sera doté d'un insigne spécial sous forme d'un brassard blanc orné d'une étoile à cinq branche en drap gris bleuté, voici à peu près à quoi cela aurait pu ressembler :


        
    Il est effectivement adopté un modèle de brassard pour les hommes affectés au service de police des voies ferrées et de leurs abords, mais le modèle officiel n'est pas un brassard blanc : "les hommes portent un brassard tricolore comme signe distinctif" selon le point 7 de l'instruction du 7 janvier 18873 ; la description officielle détaillée de ces brassards est publiée le 12 août 18874.



    Je n'ai trouvé à ce jour aucune autre référence que celle de cet article de presse, à ce brassard blanc avec étoile pour ce service, des textes officiels ultérieurs évoquent toujours les brassards tricolores, puis à partir de 1890 est officiellement adopté un nouveau modèle de brassard pour le service de garde des voies de communication, mais il s'agit d'un brassard bleu à inscriptions blanches.



    A l'étude des photographies des gardes des voies de communication (dont de nombreux exemples jalonnent les pages de ce site internet dédié aux GVC), on constate que ces deux derniers modèles de brassards, les tricolores et les bleus, ont tous les deux subsités jusqu'à l'entrée en guerre en 1914 (même si seul le modèle bleu reste officiellement mentionné dans l'instruction générale de 1910 sur l'organisation du service des GVC en vigueur en 1914) à l'évidence selon ces photographies il existe pendant la guerre sur ces deux modèles de brassards de nombreuses variantes d'inscriptions officielles ou non, et de couleurs d'inscription variées, ainsi que différentes teintes claire ou foncées pour les brassards bleus.
   
    Je n'ai en revanche trouvé sur aucune photographie de GVC des brassards blancs à étoile !  D'où peut donc bien provenir cette curieuse variante décrite par le journal ? Cette variante ne semble en effet en réalité jamais avoir existé ne figurant dans aucune description officielle ni sur les photographies de GVC !

    Cette description par le journal, du brassard attribué au service de police des voies ferrées pourrait bien être totalement erronée, et  résulter d'une lecture un peu rapide et légère d'une autre note publiée le 24 décembre 1887, c'est un complément à la description des brassards tricolores du 12 août 1887 évoquée ci-dessus, voici son texte intégral4  :

         
                                                                                           
         
 

N°303. Appendice à la décision ministérielle portant adoption d'un brassard pour les hommes de la réserve de l'armée territoriale affectés, en temps de guerre, à la surveillance des voies ferrées. [B.O., p.r., p.1318.]

                                              Paris, le 24 décembre 1887.

     La décision ministérielle du 12 août 1887 (Journal militaire, page 125), déterminant le modèle de brassard dont seront pourvus les hommes de la réserve de l'armée territoriale affectés, en temps de guerre, au service de la surveillance des abords des voies ferrées, devra être complétée ainsi qu'il suit :

      Le brassard des chefs de groupes communaux reçoit sur la bande blanche deux étoiles à cinq branches (diamètre 20mm environ) découpées en drap bleu foncé de soldat et cousues à points rabattus ; la pointe de l'étoile dirigée vers la partie convexe.

     La première étoile est placée à 190mm de la pointe arrondie du brassard ; la deuxième, à 10mm de la première.

     Le brassard des suppléants des chefs de groupe ne reçoit qu'une étoile de même nature et de même dimension, appliquée à 205mm de la pointe arrondie.

 




    Cette publication est du 24 décembre 1887, l'article du journal est publié le 12 février 1888, moins d'un mois et demi sépare les deux publications, il y a donc une certaine proximité dans le temps entre les deux publications.

    Le titre de la note officielle évoque "les hommes de la réserve de l'armée territoriale affectés, en temps de guerre, à la surveillance des voies ferrées" ; l'article du journal mentionne "des soldats de l'armée territoriale désignés pour être employés comme garde-voie sur nos lignes ferrées, en cas de mobilisation" ; nous parlons bien dans les deux cas du même service.

    La note officielle évoque un brassard qui "reçoit sur la bande blanche" une ou deux "étoiles à cinq branches [...] en drap bleu foncé de soldat", tandis que l'article du journal décrit "un brassard blanc, orné d'une étoile à cinq brance en drap gris bleuté" la similitude entre les deux descriptions est assez forte, dans les deux cas l'on ne parle que de blanc sur le brassard, et d'étoile bleue, le brassard blanc du journal pourrait bien trouver là son origine...

    On remarque quand même que la lecture du texte officiel par les rédacteurs de l'article du journal, a été très rapide et partielle, et son interprétation du coup erronée conduit à une description totalement fausse du brassard.

    Si la note officielle n'évoque que la couleur blanche pour le brassard, il ne s'agit pas d'un blanc qui couvre tout le brassard, il est clairement mentionné que cette note est un appendice qui complète la précédente décision ministérielle du 12 août 1887 décrivant le brassard tricolore alloués aux soldats affectés à ce service, la bande blanche du brassard évoquée dans cette nouvelle note du 24 décembre 1887 est en fait la bande centrale du brassard tricolore entre la bande bleue et la rouge.

    La lecture est partielle parce que cette note officielle précise bien que les étoiles bleues à porter sur la bande blanche du brassard  concernent seulement le chef du groupe communal qui est distingués par deux étoiles sur son brassard, et son suppléant gratifié lui d'une seule étoile, l'apposition d'étoile sur les brassards ne concerne pas les gardes qui conservent donc le simple brassard tricolore sans étoile décrit le 12 août 1887.

      

    Les rédacteurs de l'article ne se sont donc sans doute pas référés à la note précédente du 12 août 1887 ce qui les a conduit à imaginer un brassard totalement blanc seule couleur évoquée dans l'appendice du 24 décembre 1887, et ils ont totalement ignoré dans cette nouvelle note le fait que les étoiles bleues ne concernent que les brassards du chef de groupe et de son suppléant et non ceux des soldats, ils ont même ignoré la variante à deux étoiles du chef de groupe, n'évoquant que la version à une seule étoile !

    Cette légèreté a abouti à la publication d'une description de brassard totalement fausse. Pourtant la vérité était déjà écrite en ses propres pages, en effet pas plus de deux semaines plus tôt, dans son N° 387 du 28 janvier 1888, était reproduit intégralement et mot pour mot, dans sa rubrique "CIRCULAIRES - DECISIONS", l'appendice officiel à la description de ces brassards du 24 décembre 1887 reproduit également ci-dessus2 ; et quelques mois plus tôt, après parution de la description officielle du brassard tricolore pour le service de police des voies ferrées, était publié en sa rubrique "INFORMATIONS MILITAIRES" de son numéro du 28 août 1887 l'article suivant2 :
 
         

                                                                                           


 



     Nouveau brassard. _ Une décision ministérielle récente vient de prescrire que les réservistes de l'armée territoriale affectés en temps de guerre à la surveillance des voies ferrées, ouvrages d'art, etc., porteront un brassard tricolore.
     Ces brassards leur seront fournis par les états-majors territoriaux.
     Il devra être confectionné de suite un nombre considérable de ces marques distinctives dont il sera conservé un approvisionnement dans tous nos magasins régionaux.
   

         


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Notes


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